Vol. 77, Nº 3Reportages externes

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Effets du stress et des émotions sur les préposés aux communications de la police

Des recherches récentes ont montré que les symptômes de type traumatique suscités par la survenue d'incidents critiques étaient plus nombreux chez les préposés aux communications de la police que chez les policiers et d'autres travailleurs civils.

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De nombreuses études ont été menées sur le stress et les expériences traumatiques auxquels font face les policiers et autres premiers intervenants des services d'urgence.

Pourtant, bien que le préposé aux communications de la police — aussi appelé« répartiteur » et « opérateur du 911 » — soit vraisemblablement touché par la plupart des événements qui génèrent du stress et des traumatismes dans les services d'urgence, les troubles dont il souffre sont le plus souvent ignorés des études portant sur le stress et les émotions des premiers intervenants.

Au cours d'un quart de travail ordinaire, le préposé aux communications est exposé, en plus des multiples facteurs de stress semblables à ceux que subissent les intervenants d'urgence, à des facteurs de stress particuliers à son milieu de travail.

Par exemple, être confiné dans un espace exigu, la faculté limitée de quitter son poste de travail, même pour aller aux toilettes et, lors des périodes de pointe, la nécessité de répondre à une série d'appels sans interruption constituent des conditions de travail physiquement éreintantes. De plus, l'environnement technologique de l'opérateur du 911 peut l'amener à se sentir isolé.

Absent des lieux de l'intervention et ne sachant pas toujours ce qui en est résulté, le répartiteur peut se sentir impuissant et incapable de tourner la page. La surveillance ciblée qu'exerce sur lui l'organisation au moyen de ses lignes directrices en matière de conduite, le risque d'être soumis à l'examen du public ou à un examen juridique et l'enregistrement régulier des données relatives à son rendement peuvent contribuer au stress qu'il doit supporter dans son milieu de travail.

Il n'est pas rare — faut-il s'en étonner? — que les émotions soient évacuées du lieu de travail au profit d'attitudes dites rationnelles. Fait à noter : les répartiteurs ont presque tous décrit leur travail comme un exercice consistant à vider une situation donnée de sa charge émotive.

Ils s'efforcent de prendre les rênes de l'échange, de calmer le demandeur et d'obtenir des renseignements utiles quelle que soit la teneur émotive de la situation, comme le font les intervenants d'autres services d'urgence où un certain flegme ou détachement est de mise.

Il reste que la répartition des appels 911 est un métier où l'émotion occupe une grande place. Tracey et Tracey (1998) ont noté que les préposés aux communications doivent souvent gérer simultanément leurs propres émotions, celles des demandeurs et celles de leurs collègues. Une bonne part de ce que font les répartiteurs et des décisions qu'ils prennent est colorée et structurée par les émotions et les échanges émotivement chargés qu'ils ont avec les autres.

Ce type de travail émotionnel, produit de ce que Hochschild (2003) appelle un « cœur dirigé », passe souvent inaperçu aux yeux des organisations, du personnel de direction et du grand public. Généralement méconnu ou tenu pour acquis, semblable travail est rarement considéré comme une importante source de trouble par les employeurs.

Incidence du travail de répartition

Plusieurs études ont montré que les personnes exerçant un métier qui exige un degré élevé de travail émotionnel souffraient davantage de stress, de dépression, d'angoisse, d'épuisement émotionnel et professionnel et de divers ennuis de santé.

L'intensité des efforts émotionnels et des rapports interpersonnels qu'implique le travail de répartiteur peut faire peser sur ce dernier un plus grand risque de trouble physique ou mental.

Dans une recherche récente, Pierce et Lilly (2012) ont montré que les symptômes de traumatisme consécutifs à des événements pénibles étaient plus élevés chez les préposés aux communications que chez les policiers et d'autres groupes de travailleurs civils.

Notre groupe de recherche a mené une étude visant à observer les relations entre diverses manifestations de trouble — p. ex. détresse psychologique, stress physique (mesuré par le taux de cortisol, l'hormone du stress) — et des expériences subjectives de stress ainsi que d'autres facteurs pouvant influer sur l'aptitude à garder son sang-froid lors de moments critiques — p. ex. stratégies d'adaptation, soutien social et locus de contrôle, ce dernier terme renvoyant au type de maîtrise que le sujet exerce ou croit exercer sur ce qui lui arrive (Regehr et coll., 2013).

Nous avons recruté 113 répartiteurs de police canadiens, certains travaillant en milieu urbain, d'autres en milieu rural, certains pour un service de police municipal, d'autres pour un organisme provincial, certains à plein temps, d'autres à temps partiel; 87 p. 100 d'entre eux étaient des femmes, 59 p. 100 étaient mariés et 81 p. 100 détenaient un diplôme collégial ou universitaire.

Trente et un pour cent des sujets présentaient des symptômes de stress traumatique justifiant, selon des critères prudents, un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Ce taux dépasse de loin celui observé chez les policiers des deux sexes et dans la population en général.

Plus l'employé compte d'années de service, plus nombreux sont chez lui les symptômes de traumatisme. Quinze pour cent des sujets ont fait mention de signes de dépression légers ou modérés, mais le niveau d'angoisse observé était bas au regard de celui de l'ensemble de la population.

On a relevé des taux de cortisol comparables à ceux des personnes exerçant d'autres métiers très stressants, comme le personnel infirmier des services des urgences et les ambulanciers d'expérience, mais ces taux n'étaient pas corrélés à d'autres troubles ayant été mesurés.

En raison des effets durables des incidents particulièrement éprouvants, il est difficile de dégager des relations entre le cortisol et les expériences subjectives de stress passager dans un contexte de travail où les sources de stress présentent souvent un aspect répétitif.

Il a été montré qu'un locus interne de contrôle (c.-à-d. un sentiment de maîtrise) à l'égard de ce qui se passe autour de nous a des vertus protectrices lorsqu'on se trouve en situation de stress. Qui sait garder sa maîtrise sur les choses dans des circonstances traumatisantes traverse plus aisément de telles expériences. Les répartiteurs qui ont déclaré avoir un fort sentiment de maîtrise sur les choses étaient par ailleurs moins touchés par l'angoisse et la dépression.

On a aussi noté que les sujets interrogés bénéficiaient, comparés aux autres groupes professionnels et à la population en général, d'un haut niveau de soutien social.

Bien que le soutien social soit habituellement considéré comme un facteur de réduction du stress et des symptômes traumatiques (Regehr, 2009), Farnsworth et Sewel (2011) ont récemment avancé l'idée que la peur de l'émotion — ou la pensée qu'une expérience émotionnellement intense conduit forcément à la perte de son sang-froid — serait un plus sûr indicateur prévisionnel de TSPT que le manque de soutien social.

Conclusion

Complexe est l'influence des émotions sur le travail. D'un côté, elles sont associées à ce qu'il y a de plus gratifiant et de plus positif dans la prestation de services d'urgence; c'est dire que le travail peut être vécu comme une expérience stimulante, enrichissante et épanouissante.

D'un autre côté, les émotions peuvent perturber l'individu et sa capacité à communiquer avec le public et ses collègues (LeBlanc et coll., 2011; Regehr et coll., 2008). Premier point de contact, le répartiteur est directement exposé à des circonstances traumatisantes dont les effets sont immédiats, durables et profonds. Le travail émotionnellement exigeant a un coût physiologique, psychologique et relationnel pour le travailleur.

Les organisations en bonne santé tâchent à la fois de reconnaître la gestion des émotions comme une précieuse aptitude dans la prestation de services d'urgence et d'aider ses employés à se servir de leurs émotions pour le plus grand bien du public, des autres employés et du leur propre.

Arija Birze est doctorante à la Dalla Lana School of Public Health de l'Université de Toronto et boursière du Currie Fellowhip du Wilson Centre.

La prof. Cheryl Regehr est vice-présidente et doyenne de l'Université de Toronto, où elle enseigne à la Factor-Inwentash Faculty of Social Work ainsi qu'au Institute for Medical Sciences.

La prof. Vicki LeBlanc est directrice du Département d'innovation en éducation médicale de l'Université d'Ottawa, où elle enseigne.

Bibliographie

Hochschild, W. « The managed heart: The recognition of emotional labour in public service work », Nurse Education Today, 2003, vol. 33, n° 1, p. 5-7.

Pierce, H. et M. Lilly. « Duty-related trauma exposure in 911 telecommunicators: Considering the risk for posttraumatic stress », Journal of Traumatic Stress, 2012, vol. 25, n° 2, p. 211-215.

LeBlanc, V., et coll. « The association between posttraumatic stress, coping, and acute stress responses in paramedics », Traumatology, 2011, vol. 17, n° 4, p. 10.

Regehr, C. « Social support as a mediator of psychological distress in firefighters », Irish Journal of Psychology, 2009, vol. 30, n° 1, p. 85-96.

Regehr, C., et coll. « Acute stress and performance in police recruits », Stress and Health, 2008, vol. 24, n° 3, p. 295-303.

Regehr, C., et coll. « Predictors of physiological stress and psychological distress in police communicators », Police Practice and Research, 2013, vol. 14, n° 6, p. 451-463.

Tracy, S.J., et K. Tracy. « Emotion labor at 911: A case study and theoretical critique », Journal of Applied Communication Research, 1998, vol. 26, n° 4, p. 390-411.

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