Vol. 77, Nº 1Reportages

Carburant propre, mains sales

Une coopération interorganismes stoppe un manège frauduleux

Lors de sa perquisition sur le site de City-Farm Biofuel, la GRC a constaté que l'usine était démantelée. Il était donc impossible à l'entreprise de produire du biocarburant, et surtout pas les 600 000 litres qu'elle prétendait produire chaque mois. Crédit : Groupe des crimes graves et du crime organisé, GRC, C.-B.

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En décembre dernier s'est conclue une enquête multilatérale sur un complexe stratagème de fraude impliquant des suspects d'origine américaine et australienne en lien avec le Canada.

« Pendant trois ans, une partie de nos efforts a été consacrée à une affaire de fraude dont les responsables profitaient indûment de programmes éco-incitatifs publics, déclare le s.é.-m. Trevor Dusterhoft, du Groupe des crimes graves et du crime organisé (GCGCO) de la GRC en Colombie-Britannique. Les gens se disent tout de suite : "Le biodiesel? Mais c'est une énergie verte!" Tout le monde en pense du bien. On a toutefois appris que produire du biocarburant n'était pas aussi simple qu'il ne paraissait. » Et que ce n'est pas toujours propre non plus.

En 2011, le programme écoÉnergie pour les biocarburants, administré par Ressources naturelles Canada (RNC), a été doté de fonds et a commencé à offrir aux producteurs de biodiesel des incitatifs proportionnels à leur volume de production et de vente. La société City-Farm Biofuel Ltd, établie à Delta (C.-B.), a négocié un accord dans le cadre de ce programme.

Alerté par une source, le GCGCO s'est rendu compte que City-Farm Biofuel gonflait énormément, dans ses livres comptables, les données relatives à ses achats de matière première, c'est-à-dire les huiles d'où est dérivé le biocarburant. L'entreprise, qui ne produisait environ que 20 000 litres de biocarburant par mois, prétendait en produire près de 600 000.

Les données falsifiées servaient à étayer des transactions fictives de vente et d'achat effectuées en sus de celles, licites, conclues avec des sociétés non indépendantes comme USA Global eMarketing (GEM), le but étant de maximiser les demandes de subvention.

« Ils ne faisaient que passer et repasser la frontière à bord du même camion. Ils décla-raient entrer au pays avec une charge de matière de base alors qu'en réalité ils transportaient du carburant, explique le s.é.-m. Dusterhoft. Le conducteur n'avait même rien à décharger : il entrait avec du carburant, attendait quelques heures, puis repassait la frontière avec la même cargaison. »

Étrangement, les ventes fictives de GEM dépassaient largement celles qui auraient suffi pour étayer les demandes de subvention frauduleuses. Les suspects actifs au Canada provenaient des États-Unis et de l'Australie.

En cours d'enquête, la GRC a découvert que les suspects étaient aussi impliqués dans une fraude de plusieurs millions de dollars portant atteinte aux intérêts du gouvernement des États-Unis. En vertu du programme américain qui encourage la production et l'utilisation de biodiesel, producteurs et importateurs peuvent attribuer un numéro d'identification renouvelable à chacun des gallons de biodiesel produits ou importés, puis vendre ou échanger ceux-ci sur le marché.

Les enquêteurs de la GRC ont communiqué avec les attachés du FBI et des services secrets des États-Unis postés à Vancouver après avoir constaté que ces deux organismes menaient des enquêtes parallèles sur le même suspect. Ils ont été mis en contact avec la division criminelle de la U.S. Environmental Protection Agency, et un échange de renseignements s'est ensuivi. Grâce à cette mise en commun d'informations, à laquelle participait également le Homeland Security (É.U.), il a été établi que les autorités américaines se faisaient escroquer.

Contrairement à ce qu'indiquaient les documents présentés, la grande quantité de biodiesel que GEM importait n'était pas produite au Canada ni vendue à divers pays par City-Farm Biofuel Ltd : les données comptables étaient gonflées dans le but de tromper les administrateurs du programme. Par ce moyen, GEM pouvait, en tant qu'importateur en règle de biocarburant, solliciter d'intéressantes subventions dans le cadre des programmes incitatifs américains.

Ce stratagème très complexe a permis à ses auteurs de soutirer indûment des millions de dollars à des organismes publics des États-Unis et du Canada.

Le 22 juillet 2014, Nathan Stoliar, de l'Australie, a plaidé coupable à divers chefs d'accusation : un de complot, un de complot en vue de blanchir de l'argent, deux de fraude électronique et un de déclaration mensongère sous le régime de la Clean Air Act.

En janvier 2014 a été divulgué l'acte d'accusation visant James Jariv, de Las Vegas. Ce dernier attend son procès pour complot, pour fraude électronique et postale et pour blanchiment d'argent en lien avec l'affaire de biodiesel. Le 15 novembre 2014, il a été arrêté à Las Vegas pour son implication dans une affaire distincte de revente frauduleuse de logements en multipropriété.

« La résolution de cette affaire est directement attribuable à l'efficacité de notre partenariat interorganismes, conclut le

s.é.-m. Dusterhoft. Tout seuls, on n'arrive à rien. Les criminels font peu de cas des frontières internationales, il est donc indispensable, pour assurer l'observation des lois dans chaque pays, que la police noue et entretienne des relations avec les organismes étrangers qui sont chargés de l'application de la loi.»

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