Vol. 77, Nº 3Débat de spécialistes

Que peut faire un service de police à l’égard du stress au travail?

Être fort est une question de survie pour les policiers, mais la véritable force réside dans la connaissance de la santé mentale, affirme le surint. Guy Rook. Crédit : GRC

Les spécialistes

  • Surint. Guy Rook, chef du District Nord-Est et champion de la santé mentale en Ontario, GRC
  • Patrick Baillie, Ph. D., Services psychologiques, Service de police de Calgary
  • David Dingley, psychologue agréé, Maple Ridge (C.-B.)
  • Sarah Creighton, chef de police adjointe, Formation, Perfectionnement et Mieux être des employés, Service de police de San Diego

Surint. Guy Rook

« Parlons santé mentale » est la devise officieuse et la première étape de la stratégie en santé mentale de la GRC en Ontario. Parler santé mentale au travail semblait simple et évident, tellement évident qu'on peut se demander en quoi cette stratégie est novatrice.

En Ontario, la GRC fait face à un nombre inhabituellement élevé d'enquêtes relatives à la sécurité nationale et de pressions budgétaires. En découlent incertitude et imprévisibilité, mais aussi, éloignement du lieu de travail habituel et du foyer pour de nombreux employés détachés.

C'est ce qui nous a amené à croire qu'il fallait sans tarder parler de santé mentale à titre préventif afin de gérer le haut niveau de stress et d'anxiété que nous étions nombreux à éprouver.

Nous avons donc organisé des séances pour informer les membres des services et des outils de santé mentale à leur disposition. Nous avons aussi présenté des techniques de gestion du stress propices au développement de la résilience, parlé de stigmatisation et raconté notre histoire personnelle pour montrer que les difficultés personnelles et professionnelles sont tout à fait normales.

Plus de 1 480 participants ont assisté aux 40 séances offertes en six mois. En général, leurs commentaires étaient positifs et similaires. Mais le plus important est que ces séances nous ont permis d'apprendre ceci :

  1. Plus que le travail lui-même, la nocivité d'un milieu de travail et l'oppression des superviseurs rendent difficile le maintien d'une bonne santé mentale.
  2. Les préjugés et le manque de connaissances ou d'expérience sont des obstacles à la nécessité et au désir de parler ouvertement et avec confiance de santé mentale.
  3. La forte réticence de certains à obtenir de l'aide d'autres personnes ou de l'organisation s'explique par la peur des conséquences qui pourraient en découler.
  4. Nous avons de nombreux services et systèmes de soutien efficaces en matière de santé mentale qu'il faut mieux faire connaître afin qu'ils soient plus utilisés.

Les superviseurs doivent être les défenseurs de la santé mentale. Pour soutenir leurs employés, il est important qu'ils aient des connaissances dans le domaine, qu'ils se montrent empathiques et qu'ils s'élèvent contre les fausses croyances ou les stéréotypes négatifs véhiculés à l'endroit de la santé mentale.

Le public s'attend de la police qu'elle assure la sécurité, qu'elle affronte la violence et l'intimidation et qu'elle prenne en charge les situations qui ne sont que terreur et chaos pour les autres.

Nous apprenons à être forts parce que notre survie sur le terrain en dépend et nous appliquons ce même principe au bureau. Les membres de services de police, employés de soutien y compris, doivent répondre à des normes et à des attentes des plus élevées tout en gérant des exigences conflictuelles.

La force véritable ne réside cependant pas dans le déni ou les apparences d'invincibilité. Elle réside plutôt dans le fait de savoir ce qu'est la santé mentale et ce qu'il faut faire pour en prendre soin, ainsi que dans la capacité de faire preuve d'attention et de respect les uns envers les autres. Celui qui souhaite exceller dans ses fonctions de supervision opérationnelle doit être attentionné et bien informé, et ne doit pas hésiter à parler de santé mentale et à dissiper les préjugés.

Patrick Baillie, Ph. D.

De nos jours, on reconnaît et on accepte beaucoup plus le stress lié au travail policier. Nombre de services de police canadiens estiment nécessaire de surveiller et de soutenir la santé mentale de leurs membres.

Un programme de services psychologiques n'est efficace que si les attitudes changent et que si la culture organisationnelle repose sur des relations positives. Lorsqu'une organisation invite ses membres à recourir à un tel programme, que des fonds suffisants y sont affectés et que les dirigeants clés de l'organisation disent ouvertement que c'est leur volonté d'obtenir de l'aide qui a sauvé leur carrière, leur mariage, leur famille et parfois même leur vie, un tel programme prend alors de l'expansion.

Les services psychologiques (SP) du Service de police de Calgary (SPC) bénéficient du soutien de nombreuses parties, dont l'association des policiers de Calgary, la section opérationnelle des ressources humaines (et santé au travail), des membres chevronnés et les principaux membres de la direction du SPC ainsi que divers clients prêts à témoigner de leur expérience et à encourager le recours aux services.

Nous protégeons farouchement le caractère confidentiel du programme, nécessaire aux employés pour se confier avec assurance, et nous ne sommes aucunement associés à quiconque risquerait de compromettre ce principe éthique clé.

Les membres du SPC et leurs familles ont droit à une gamme variée de services et de fournisseurs qui connaissent bien le travail et le milieu policiers, ce qui selon nous contribue à la crédibilité des services.

Les SP essaient de répondre aux divers besoins de ceux qui font appel à eux, en offrant par exemple :

  • counselling individuel, conjugal et familial;
  • consultation psychiatrique rapide d'un médecin naturopathe interne;
  • dépistage psychologique et évalua-tions de santé mentale annuelles pour les membres affectés à des tâches particulièrement difficiles, dont les enquêtes sur l'exploitation d'enfants sur Internet et les enquêtes d'infiltration à long terme;
  • fournisseurs de soins au centre-ville et en banlieue.

Les SP relèvent directement du chef de police et bénéficient, depuis leurs débuts il y a plus de 25 ans, du solide soutien des chefs qui se sont succédé à la tête du service, dont Rick Hanson et Paul Cook. De tels services sont bien sûr coûteux, mais les économies manifestes qu'en a tirées le SPC résultent d'une baisse du taux d'absentéisme et d'autres dépenses en soins de santé.

La réussite des SP s'explique principalement par la disparition des croyances erronées qui entouraient la santé mentale. Les programmes qui s'attaquent directement aux préjugés — comme le font Cause pour la cause de Bell et d'autres initiatives de la Commission de la santé mentale du Canada — contribuent à modifier les mentalités.

La volonté de certains services de police d'agir à l'égard des traumatismes liés au stress opérationnel, dont le syndrome de stress post-traumatique, a permis de contrer la perception voulant que ces traumatismes font tout simplement partie du travail. Des programmes novateurs tels En route vers la préparation mentale, adopté par le SPC, offre des outils proposant des façons de lancer la discussion sur la santé mentale en milieu de travail.

Il y a 20 ans, la majorité des services psychologiques étaient offerts aux conjoints et aux enfants des employés, les employés eux-mêmes étant plutôt réticents à y avoir recours par peur de compromettre leurs chances d'avancement ou par simple déni de problèmes pourtant évidents.

Aujourd'hui, près du quart des membres assermentés font appel aux SP chaque année et sont aiguillés vers les services dont ils ont besoin, ce qui laisse croire à une forte baisse de la stigmatisation entourant le recours à de tels services.

David Dingley, psychologue agréé

En tant que psychologue-conseil au privé, je rencontre une vingtaine de policiers chaque semaine. Nombre de mes clients m'ont expliqué ouvertement ce que leur employeur aurait pu faire différemment pour les aider à gérer le stress au travail.

« Si vous attendez d'une personne qu'elle vous défende au point d'en mourir, vaut mieux alors s'intéresser à elle sur le plan personnel. » C'est ce que m'a confié un officier supérieur après avoir assisté à une enquête publique sur les actions et décisions de certains employés.

Ces employés étaient visiblement troublés et dépassés par cette expérience. Mon client les a simplement écoutés en leur manifestant attention et soutien.

Chacun d'eux lui a dit qu'il avait été le seul de la partie patronale à avoir agi ainsi, dans les deux ans suivant l'incident, et que personne n'était à l'audience pour leur offrir une assistance émotionnelle quelconque.

Très souvent, on me dit que les services de police devraient poser des gestes simples qui témoignent d'un véritable souci pour la santé psychologique de leurs employés.

Certains de mes clients se sont épuisés, ont compromis leur santé physique et mentale et ébranlé leurs relations avec leur famille.

Récemment, un membre consciencieux a développé le trouble de stress post-traumatique chronique; ses symptômes psychologiques sont typiques, mais il montre des symptômes physiques graves.

Pendant des années, ce membre a travaillé dans un service très spécialisé où la lourde charge de travail était attribuable au sens des responsabilités et au dévouement de ses membres.

Le service ne faisait aucun débrie-fing, écartant ainsi la possibilité d'évaluer l'incidence du stress et de mettre en œuvre des stratégies d'adaptation en conséquence alors que les effets du travail étaient manifestes.

Un autre membre dévoué est récemment venu me voir parce qu'il venait de prendre conscience qu'il gérait mal sa vie personnelle. Jamais il n'avait pensé, m'a-t-il confié, qu'il devrait un jour consulter un professionnel comme moi, car à ses yeux, c'était là un signe de faiblesse.

Il s'était éloigné de sa conjointe et de sa famille et ne jouissait plus de la vie. Il ne voulait pas mettre fin à sa vie et c'est ce qui l'a amené à demander de l'aide. Il avait essayé de gérer les agents de stress en tentant de les oublier. Lorsque je lui ai demandé quelles étaient ses autres stratégies, il m'a répondu qu'il n'en connaissait pas.

Si ma mémoire est bonne, aucun po-licier ne m'a dit avoir suivi une formation sur la gestion des répercussions de son travail. Je comprends que la santé mentale n'est pas la raison d'être des services de police, mais je crois fermement que des conséquences graves pourraient être évitées par une formation sur des stratégies de gestion du stress simples et efficaces.

Les services de police pourraient grandement aider leurs employés à gérer le stress au travail en leur offrant de la formation sur les stratégies de base, en sachant reconnaître les employés qui dépassent leurs limites, en démontrant leur empathie par des gestes simples et en s'attaquant à la mentalité et au climat organisationnels qui font que demander de l'aide est mal perçu.

Sarah Creighton, chef de police adjointe

Le stress, qu'il découle d'un traumatisme ponctuel, de l'effet cumulatif d'une série d'événements, voire de tracasseries administratives, taxe lourdement nos effectifs.

Plus que jamais, le stress professionnel nous accompagne au foyer, et le stress familial s'insinue dans notre travail. Sollicités de toutes parts, nous payons en outre un lourd tribut pour la technologie qui nous maintient en contact étroit avec toutes les sphères de notre vie.

Les responsables de police à l'esprit novateur n'en reconnaissent pas moins que le stress est inhérent à notre travail, surtout à une époque de compressions rigoureuses. Dans le contexte policier actuel, un leadership efficace repose sur la détermination et la diffusion des ressources efficaces de gestion du stress, qu'il soit d'origine professionnelle ou non.

Une démarche holistique de gestion du stress pourrait donner naissance à une génération de policiers qui sentent que leur organisation se soucie d'eux et qui ne sauraient faire autrement que de gérer leur stress en conséquence.

Si l'appel à l'aide suscite encore une réticence chez certains de nos collègues, l'idée que le stress peut et devrait être géré de façon dynamique, notamment par la prestation de ressources confidentielles, voilà ce qu'une nouvelle culture du milieu policier devrait englober.

On doit sensibiliser les recrues aux conséquences du stress et aux ressources confidentielles existantes, pendant leur formation et tout au long de leur carrière.

On devrait aussi informer les membres de leur famille et leur offrir des ressources directement, sans qu'il leur soit nécessaire de passer par leurs proches dans la carrière. L'adaptation des membres de la famille au nouveau mode de vie de l'être cher a une incidence directe sur le mieux-être du policier.

Il faut diffuser des affiches, des dépliants, des sites Web et tout support comportant de l'information sur les ressources dans chaque poste de travail. Les services de police devraient également rappeler aux employés les ressources disponibles par l'entremise d'ateliers sur le mieux-être, au début des quarts de travail et dans toute autre tribune pertinente.

Les séances d'aide après un stress causé par un incident critique doivent être offertes spontanément, et non pas seulement à la demande du membre. Ces séances traduisent la reconnaissance tacite de la part de l'organisation de l'incidence du stress et sa volonté de soutenir les parties concernées.

Il est important d'offrir un éventail de ressources. Ce ne sont pas tous les membres qui souhaitent consulter un psychologue ou un aumônier. Un membre affecté au soutien des pairs pourrait être davantage indiqué.

Qu'il s'agisse du soutien informel par les pairs ou des services d'un psychologue, d'un médecin, d'un aumônier, d'un conseiller en toxicomanie ou financier, ceux-ci devraient être offerts au policier et à sa famille gratuitement, et dans les conditions de confidentialité prévues par la loi.

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