Ces petits moments qui marquent une carrière

Vers l'âge de huit ans, Barb Alexander (née Woods) s'est entichée de l'idée d'entrer dans les rangs de la Gendarmerie.

C'était au début des années 60, à Fort St. John, rude ville pétrolière du nord-est de la Colombie-Britannique. Sa mère s'était vu demander de cuisiner des repas aux membres du détachement local de la GRC.

Monoparentale, elle offrait le gîte et le couvert à des ouvriers pour faire vivre ses six enfants. Un jour, des gendarmes célibataires se sont pointés chez elle. « Ils étaient fatigués de se faire à manger, alors ils ont commencé à se joindre à nous pour les repas. »

« Ils étaient si courtois, se souvient Barb. Comme mon père n'était pas dans le décor, ils me servaient de modèles. »

Leur influence a été si grande qu'elle n'a jamais vraiment envisagé une carrière autre que le travail policier. Elle a décroché un emploi d'été comme répartitrice à la Sous-division de Nelson et a plus tard travaillé deux ans à la réception de la police de Victoria.

C'est pendant cette période que la GRC a annoncé, le 24 mai 1974, qu'elle accepterait les demandes d'emploi de femmes souhaitant devenir policières. « J'ai téléphoné au bureau des affectations le jour même, et le hasard a voulu que je tombe sur quelqu'un que j'avais côtoyé dans mon emploi de répartitrice », raconte Barb, s'amusant de voir à quel point le monde peut être petit à la GRC.

Le 16 septembre suivant, elle était assermentée et prenait la route de l'École de la GRC (Division Dépôt), à Regina, en Saskatchewan, pour faire partie de la première troupe féminine, qui portait le numéro 17.

Contrairement à bon nombre de ses 31 compagnes de troupe, la jeune femme de 20 ans n'a ressenti ni bouleversement ni nervosité en arrivant dans le vaste complexe.

Elle se souvient qu'en voyant pour la première fois des troupes circuler en formation pour se rendre d'une classe à l'autre, elle a vraiment pris conscience de réaliser le rêve qui l'habitait depuis son enfance à Fort St. John. « J'étais curieuse et enchantée d'être enfin rendue là. »

La suite a finalement dépassé toutes ses espérances. « J'ai fait une carrière formidable, à la fois stimulante et extrêmement enrichissante », affirme-t-elle depuis son domicile à Victoria, où elle s'est établie à la retraite avec son mari, maintenant décédé, qui était lui aussi membre de la GRC.

Tôt dans sa première affectation, à Cranbrook, en Colombie-Britannique, Barb a vu que l'humour serait son allié, le temps que ses collègues masculins s'habituent à avoir une femme parmi eux. Elle se souvient entre autres de la journée où elle a reçu des articles d'uniforme au détachement. À l'époque, les effets distribués aux femmes comprenaient des collants, des soutiens-gorges et un sac à main avec étui intégré pour l'arme de poing, en plus des articles traditionnels comme le chapeau de rat musqué pour l'hiver.

« Ils avaient écrit sur l'emballage de papier brun : "bas nylon chauds" et "soutiens-gorges doublés de fourrure", dit-elle en riant. Le sergent d'état-major les a obligés à refaire l'emballage parce qu'il ne savait pas trop comment je prendrais la blague. »

Elle aimait son travail, mais elle s'ennuyait. « Je n'avais aucune place, ni parmi les gars, ni parmi les secrétaires, ni parmi les épouses. Après le travail, je me sentais seule. »

Elle s'est alors vu confier une tâche qui deviendrait le fil conducteur de toute sa carrière et qui lui permettrait de se constituer un réseau d'amis.

Une fille de 14 ans avait été agressée sexuellement par quatre hommes, mais refusait d'en parler à l'enquêteur du détachement voisin. On a donc fait appel à Barb pour voir si la victime s'ouvrirait à une femme. « Elle m'a tout dit parce qu'elle savait que j'étais en mesure de la comprendre. Et je n'avais que six ans de plus qu'elle! »

Quand une demande semblable est venue d'un autre détachement, force a été de constater que les femmes de la région avaient besoin d'apprendre à se protéger, et Barb s'est bientôt mise à présenter des exposés sur le sujet.

Sa vie a changé à jamais quand, au cours d'un voyage à Victoria, elle a rencontré l'auteur du programme « Lady Beware » qu'elle voulait mettre sur pied dans son détachement. Le policier en question, Don Alexander, deviendrait plus tard son mari.

Une de leurs deux filles, Heather, a suivi leurs traces, faisant son entrée à la GRC en 1995. « Don et moi lui avons remis son insigne ensemble quand elle a été promue de Dépôt. » C'était une première pour l'organisation.

Après plusieurs mutations et une pause de cinq ans quand les enfants étaient petits, Barb a mis sa passion personnelle au cœur de son travail en se joignant au Groupe de la police communautaire de Port Alberni, en Colombie-Britannique. Son dévouement lui a valu en 1988 le tout premier prix provincial du praticien de l'année en matière de prévention de la criminalité.

Sa dernière affectation, trois ans avant de partir à la retraite en 2001, l'a menée au programme Échec au crime à Victoria, où elle produisait des reconstitutions et d'autres types d'appels au public. « C'était un travail très gratifiant et amusant qui m'a permis de terminer ma carrière en beauté », résume-t-elle.

Au nombre des facteurs qui l'ont incitée à prendre sa retraite figurait le désir de se consacrer à l'entreprise florissante qu'elle avait créée après un voyage au paradis indonésien de Bali en 1999. Tombée sous le charme des gens de l'endroit, elle avait lancé un commerce de conception et d'importation de tissus pour vêtements féminins. Aujourd'hui, sous la bannière de Bali Fiber Tours, elle organise des visites guidées pour les femmes et fait du mentorat auprès de Balinaises qui souhaitent ouvrir leur propre petite entreprise. Sa partenaire d'affaires, Cheryl Joyce, est une ancienne compagne de troupe.

Ce travail s'inscrit à bien des égards dans le prolongement de son expérience de police communautaire. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de nouer des relations authentiques avec les gens et de leur donner les moyens de s'aider eux-mêmes.

C'est de cette influence exercée sur les autres que Barb tire sa plus grande fierté. Deux exemples lui viennent à l'esprit : le jour où elle a croisé un homme qui lui a dit, les larmes aux yeux, à quel point elle avait changé les choses pour sa famille des années auparavant, et celui où, à l'épicerie, une jeune femme l'a remerciée de l'avoir aidée à traverser les années difficiles de son adolescence rebelle.

« De temps à autre survient un petit moment inoubliable. C'est ce qui fait que le jeu en vaut la chandelle. »

Lisez les articles intitulés « Gros plan », « Premières féminines » et « Voici la Troupe 17 »

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