Vol. 78, Nº 1Avis d'un expert

Une main tenant une balle en face de la neige.

Balles perdues dans la neige

Techniques utiles pour retrouver des éléments de preuve

Les balles s'immobilisent souvent à quelques centimètres sous la surface de la neige. Il suffit de suivre le sillon formé par la balle pour la retrouver. Crédit : Gend. Jason Lewis, Section de l'identité judiciaire du Détachement de North Battleford, GRC

Retrouver une balle au cours d'une enquête judiciaire menée à l'extérieur est encore plus difficile lorsque le sol est couvert de neige. Ces trente dernières années, Dan McGill, un ancien agent de conservation en Saskatchewan, a travaillé à la mise au point de techniques simples et efficaces pour retrouver des balles sur des scènes de crime enneigées. Dans un entretien avec Eric Stewart, il décrit la genèse et la méthodologie de ses recherches et donne quelques conseils aux policiers désireux d'être mieux à même de localiser des balles sur des sites enneigés.

Quel est le point de départ de votre recherche?

Tout a commencé lors d'une enquête relative à un individu qui chassait un orignal femelle hors saison. Des signes indiquaient que l'animal avait été blessé par balle. Les suspects avaient déclaré n'avoir tiré aucun coup de feu. Les douilles trouvées sur la route, à côté de leur véhicule, étaient de la même marque et du même calibre que les balles qu'ils portaient sur eux. Ces indices suffisaient à justifier la saisie de leurs armes à feu. Les quatre balles retrouvées dans la neige, toutes le long de la piste tracée par l'orignal en fuite, étaient en parfaite correspondance avec celles tirées au moyen des armes à feu saisies. Des accusations ont donc été déposées.

Cette enquête nous a permis, à moi et à Les Oystryk, agent de conservation et collaborateur de recherche de longue date, de nous rendre compte que la neige avait pour propriété de stopper les balles. La première balle retrouvée, malheureusement, avait été ralentie et déformée en transperçant le corps du gros cervidé. Heureusement, nous avons aperçu dans la neige trois autres traces de balle, dont l'aspect tendait à indiquer que les projectiles avaient pénétré dans la neige et s'y étaient immobilisés. À l'aide d'un détecteur de métal, nous sommes parvenus à retrouver les trois balles.

Ces balles n'étaient pas du même type que la première, et à peine déformées. Plus tard au cours de l'enquête, la section des armes à feu de la GRC a pu établir que les quatre balles retrouvées provenaient des armes à feu saisies. Retrouver des balles, déterminer quelles armes ont servi à les tirer, ce n'était pas nouveau, mais découvrir que la neige était propice à leur récupération, voilà qui l'était. On a compris qu'il y avait de bonnes chances de pouvoir retrouver d'autres balles sur des lieux de crime semblables. Cette info serait sûrement utile aux policiers, avons-nous pensé, mais avant de la leur passer, il nous fallait d'abord procéder à certaines recherches.

À l'origine, notre recherche portait sur quelques questions de base. Il s'agissait d'abord d'estimer la probabilité de retrouver, dans un assez bon état pour servir à une analyse de criminalistique, des balles projetées à diverses distances, en terrain enneigé, par des carabines à grande puissance de différents calibres. L'autre but poursuivi était d'élaborer des méthodes fiables pour retrouver des balles à l'aide des outils et instruments à notre disposition.

Nous espérions arriver à des résultats, utiles au point de vue de la criminalistique, que nous pourrions communiquer aux poli-ciers et aux organismes d'application de la loi. Il nous semblait nécessaire de convaincre ces derniers que les balles étaient bel et bien stoppées par la neige et pouvaient être retrouvées. On peut s'estimer chanceux d'avoir des sols couverts de neige qui se prêtent si bien à la collecte de tels éléments de preuve.

Comment votre recherche a-t-elle évolué ces trente dernières années?

Les premiers résultats de notre étude sur le terrain donnaient à penser que la présence d'une couche de neige croûtée faisait dévier les balles et réduisait les chances de les retrouver. L'essai initial ayant été effectué au début du printemps, alors que la glaciation et la fonte répétées de la neige avaient probablement provoqué la formation d'une croûte de surface, nous avons procédé à un deuxième essai au milieu de l'hiver, dans des conditions plus proches de celles qui règnent en saison de chasse, et nous avons observé que nos méthodes étaient plus fiables et que le taux de localisation était globalement plus élevé. Beaucoup de traces de balles laissées dans la neige molle, tantôt larges, tantôt étroites, montraient aussi comment les projectiles filaient tout droit ou obliquaient dans la neige, dans les deux cas en perdant beaucoup de vitesse et d'énergie cinétique. Ces observations nous ont aidés à trouver l'endroit où chaque balle s'était arrêtée.

Au fil du temps, et pour répondre à certaines questions qu'on nous posait dans nos ateliers de formation, nous avons commencé à fournir des explications rudimentaires mais essentielles au sujet des effets de la gravité sur la trajectoire des balles, par exemple pourquoi une balle projetée à haute vitesse et une autre qu'on laisse tomber simultanément en ouvrant la main touchent le sol au même moment, ou encore comment une neige collante peut freiner et stopper les balles.

Comment enseignez-vous aux membres à employer ces techniques?

Par une combinaison de théorie et de pratique. On passe d'abord la matinée en classe pour leur exposer les notions de physique en jeu et les techniques de localisation éprouvées. On se rend ensuite au champ de tir, où on apprend aux membres, répartis en petits groupes disposant chacun d'une variété de balles, à développer leur sens de l'observation – pour repérer dans la neige des traces caractéristiques, interpréter ces traces et savoir s'adapter aux lieux sombres et aux reflets éblouissants sur la neige – et à retrouver des balles ou des éclats de balle à la main ou à l'aide d'un détecteur de métal. On les instruit aussi du rôle capital de la patience et de la persévérance quand on travaille sur de vastes scènes de crime. Ce contexte est propice à une formation sur divers aspects de la prise de photos pendant la recherche des balles. Il arrive que tout ça se fasse dans des conditions climatiques et sur un terrain à la fois très difficiles et très proches de ce qu'on rencontre en situation réelle.

Preuve de son succès, cette formation a été incorporée au programme « Resource and Environment Law » de la Polytechnique de Saskatchewan, à Prince Albert. Elle s'adresse aux étudiants qui veulent devenir agents de conservation, et elle prévoit la participation de membres de la GRC. Dans l'ensemble, elle a jusqu'ici été bénéfique pour toutes les parties concernées.

Quels types d'enquête peuvent profiter de ces techniques?

Toute enquête, criminelle ou autre, portant sur une situation où des balles peuvent avoir disparu dans la neige. Mentionnons de plus que notre expérience nous a permis d'établir des liens logiques avec d'autres genres d'indices. Par exemple, le nombre de coups de feu tirés, le lieu d'où ils l'ont été et le nombre d'armes différentes utilisées peuvent aider à retrouver des douilles.

Qu'est-ce que les policiers doivent savoir au sujet de la recherche de balles dans la neige?

La méthode consiste simplement à suivre la trace que la balle a laissée dans la neige et, si la balle ne s'est pas immobilisée trop loin, à se servir d'un détecteur de métal pour la retrouver. Bien entendu, les balles peuvent avoir différentes trajectoires. Dans notre premier essai sur le terrain, on a retrouvé une balle en parfait état sur la neige à environ 450 m du lieu de tir; pour la repérer, il nous a suffi de suivre les traces qu'elle avait faites en rebondissant sur la neige. Mais dans la plupart des cas où la balle s'enfouit dans la neige, elle creuse un léger sillon à la surface avant de s'enfoncer et de s'arrêter, habituellement moins de deux mètres plus loin, et souvent à peine quelques centimètres sous la surface.

Cette prévisibilité oriente notre méthode de localisation, qui prescrit d'abord de scruter les lieux à la recherche de sillons créés par des balles. Nous marquons ensuite d'un jalon les sillons repérés et, pour chacun d'eux, nous posons un second jalon en aval pour indiquer la direction du tir et son lieu d'origine. À l'aide de ces balises, nous examinons le terrain pour tenter de déterminer si la balle s'est immobilisée ou a poursuivi sa course. Enfin, nous nous approchons des jalons posés à l'endroit où une balle a pénétré et s'est arrêtée dans la neige, puis nous tâchons de la retrouver à l'aide du détecteur de métal.

Les traces de balle dans la neige mènent souvent à la découverte d'autres éléments de preuve, par exemple des douilles vides, des empreintes de chaussures, des traces de pneu et des lieux de tir.

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