Les spécialistes :
- Insp. Mark Hancock, officier responsable des services d'enquête, Détachement de la GRC de Wood Buffalo
- Chef Michael Kehoe, retraité, Service de police de Newtown (Connecticut)
- Roxane Marois, chef psychologue, GRC
Les interventions en situation d'urgence, par exemple lors de catastrophes naturelles ou de fusillades, engendrent du stress sur plusieurs plans. Nous savons qu'il peut être utile de disposer des outils et du soutien nécessaires pendant l'intervention et le rétablissement. Que peuvent, cependant, faire les premiers intervenants et les autres employés pour se préparer? Nous avons demandé à deux experts comment les policiers et les travailleurs de soutien peuvent se préparer dès maintenant à intervenir en cas de crise.
Insp. Mark Hancock
Au cours de la première semaine de mai 2016, la ville de Fort McMurray et ses environs ont été le foyer de l'un des plus importants désastres de l'histoire canadienne. Un énorme feu de forêt a sauté la rivière Athabasca et est rapidement devenu impossible à maîtriser. La ville a été dévorée par les flammes, et plusieurs zones résidentielles ont été réduites en cendres les unes après les autres. La ville entière a fait l'objet d'un ordre d'évacuation obligatoire. Les policiers du Détachement de la GRC de Wood Buffalo, les agents chargés de faire appliquer le règlement municipal et les shérifs ont travaillé sans relâche pour aider les résidents à se rendre en lieu sûr à moins de six heures d'avis.
En raison des inondations survenues dans la région en 2013, on avait déjà désigné, au Détachement de la GRC de Wood Buffalo, une salle devant servir de Centre des opérations d'urgence (COU). Pendant le feu de forêt, le COU a disposé d'une ligne directe pour joindre le Centre régional des opérations d'urgence (CROU). Le COU a servi de poste de commandement et joué un rôle déterminant dans l'organisation et l'exécution de l'intervention initiale ainsi que dans l'évacuation de la collectivité. Le personnel du CROU a pu communiquer rapidement avec celui du COU pour discuter des collectivités évacuées et des meilleurs itinéraires à emprunter.
Chaque détachement doit préparer des plans opérationnels d'urgence. Ceux-ci décrivent les étapes à suivre en cas d'incident majeur. Ils doivent être à jour et pertinents, et être communiqués au personnel du détachement. Ces plans doivent être suivis dès que possible pendant ce type d'incident, car ils permettent de mieux organiser les interventions en périodes de grand stress.
Pour gérer un incident de grande envergure, il faut être bien formé et posséder l'expérience nécessaire. Les simulations de catastrophes naturelles et d'incidents importants améliorent la capacité de chaque équipe à intervenir en situation réelle. Le Détachement de Wood Buffalo avait fait des simulations de catastrophes et des exercices sur table les deux années précédentes, et plusieurs policiers avaient suivi divers cours sur le commandement en cas d'incidents. Cela a permis de mettre en place dès le départ un environnement de commandement en cas d'incidents ainsi que des mesures de soutien logistique (nourriture, eau, hébergement des intervenants, etc.).
L'État-major supérieur de la GRC en Alberta et le Détachement de Wood Buffalo ont tenu des séances de rétroaction à la suite des feux de forêt afin de discuter des aspects à améliorer. La communication a été nommée en tête de liste. Il est difficile de transmettre suffisamment d'information à toutes les équipes et à tous les policiers qui interviennent dans le cadre d'un incident de cette ampleur. Le gouvernement de l'Alberta et la GRC en Alberta s'efforcent de mettre en place le nouveau Système de communication radio des intervenants d'urgence de l'Alberta dans toute la province, y compris à Fort McMurray. Ce système est conçu pour soutenir une approche coordonnée des communications radio avec tous les premiers intervenants.
Le ravitaillement peut lui aussi être organisé d'avance. Le Détachement de Wood Buffalo possède maintenant quatre grands bacs métalliques verrouillés qui contiennent suffisamment de nourriture et d'eau pour 72 heures, et assez de masques pour tous les membres du détachement.
L'intervention durant les feux de forêt de Fort McMurray a donné des résultats somme toute positifs. Environ 88 000 personnes ont pu être évacuées. S'il est crucial de bien réagir durant un incident de cette envergure, la préparation proactive est elle aussi essentielle pour que l'on puisse intervenir de façon efficace lors de la prochaine crise.
Chef Michael Kehoe (ret.)
De par leur nature même, les urgences sont des situations imprévisibles et dange-
reuses dont sont victimes les collectivités et les particuliers. Les premiers intervenants, c'est-à-dire les policiers, les pompiers et les ambulanciers, sont habituellement des représentants du gouvernement à qui l'on demande d'intervenir en prenant des mesures immédiates et décisives afin de limiter les décès, les dommages et les blessures.
Les agents de police reçoivent de nos jours une très longue formation de base pour être en mesure de réagir efficacement dans un vaste éventail de situations complexes qu'ils seront appelés à gérer de façon officielle. La plupart du temps, ils arrivent à donner une fin heureuse à des événements extrêmement complexes et dynamiques.
Toutefois, à l'occasion, une situation d'urgence met au défi même l'agent le plus chevronné qui soit. Il peut s'agir d'une situation pour laquelle très peu de formation existe, ou que l'on comprend mal. Souvent, l'agent a reçu une formation sur la situation, mais il n'a pas compris à quel point celle-ci entraîne des défis complexes.
Afin d'être mieux préparé à intervenir, il faut acquérir des habiletés, des aptitudes et des compétences applicables à toute situation d'urgence. Les compétences solides acquises au fil des années de travail ou, comme on le dit plus familièrement, la « formation sur le tas », ne peuvent préparer entièrement un policier à réagir et à intervenir efficacement face à l'horreur, à la douleur et à la peine que causent les tragédies.
Pour être professionnellement préparée à toute urgence, une personne, et en particulier un policier, doit être dans le bon état d'esprit. La confiance en soi et des compétences uniques et particulièrement utiles permettent de combler les manques, toujours nombreux, révélés par des incidents problématiques et dynamiques, en constante évolution.
Les agents de police doivent avoir leur propre travail à cœur. Pour être prêt à intervenir en cas d'urgence, il faut être pleinement investi et avoir le bon état d'esprit. Ainsi, il faut adopter une approche globale non seulement pour survivre au quotidien, mais aussi pour conserver la santé à long terme. De bonnes habitudes de sommeil, un régime alimentaire sain et un programme d'exercices rigoureux permettent de demeurer en bonne santé bien après le départ à la retraite.
L'esprit, ou le cerveau, est tout aussi important que le corps. Sur le plan personnel, l'exercice de la pleine conscience et les exercices de l'esprit favorisent la résilience du cerveau ainsi que le sentiment d'investissement dans son travail, ce qui améliore le bien-être général de l'employé et son rendement au travail.
Les organisations doivent adopter, à l'interne, des programmes ou des politiques de mieux-être mental. Les programmes d'aide aux employés, les systèmes de soutien par les pairs, les examens annuels du mieux-être mental, l'accès à des services d'aumônerie et la limitation de l'exposition aux traumatismes psychologiques sont des éléments de base qui permettent à une organisation d'assurer le bien-être mental de ses employés. Ils font partie intégrante du réseau de soutien stable des policiers, dont font aussi partie les familles.
En fin de compte, un agent de la paix est mieux préparé s'il est formé correctement, s'il a le bon état d'esprit, s'il fait l'exercice de la pleine conscience et s'il prend soin de son esprit et de son corps.
Roxane Marois
Nos policiers et employés de la GRC doivent répondre régulièrement à des urgences. Qu'ils soient appelés à intervenir auprès de citoyens en crise, à enquêter sur des scènes empreintes de violence, à traquer des individus menaçants la sécurité nationale, il est en effet important d'être préparé à intervenir dans ces contextes.
Ces situations sont variées mais comportent des similitudes face auxquelles on peut se préparer en vue de maintenir et améliorer notre résilience. D'une perspective psychosociale, la profession de policier ou de support aux opérations, implique d'être prêt à intervenir dans de courts délais, d'avoir la capacité de faire face à l'adversité, à la volatilité et au danger, et de rebondir pour à nouveau faire face à de nouvelles situations.
La confiance en soi et en sa formation, l'écoute de soi et des autres, être ouvert à apprendre des autres et disposé à adopter de nouvelles façons de faire, et croire qu'on peut se développer même dans l'adversité sont quelques unes des caractéristiques qui contribuent à une bonne préparation psychologique.
Outre la formation professionnelle qui appuie les opérations policières, plusieurs outils sont à notre disposition pour surmonter les défis et être résilient. Que ce soit les informations tirées de la formation 'En route vers la préparation mentale', d'une formation en prévention du suicide, du cours en ligne de débreffage suite à un incident critique, ou des séances offertes par les psychologues de la GRC suite à des événements critiques, il nous appartient de faire appel à ces outils dès qu'on en ressent le besoin.
Il est important d'être à l'écoute de notre corps et de nos pensées. Notre sommeil, notre appétit ont-ils changé? Nous ne sommes plus intéressés à notre hobby préféré? Notre superviseur nous souligne qu'on fait plus d'erreurs? Ces informations ne doivent pas être ignorées. Ces indices nous informent que quelque chose affecte notre fonctionnement et met en cause notre résilience.
Certains nous informent de la grande valeur des techniques de visualisation, d'autres nous disent l'importance de se maintenir en forme. On nous dira peut-être que certains changements à nos habitudes pourraient être bénéfiques : cesser de fumer, mieux équilibrer son alimentation, éviter le recours à l'alcool comme moyen d'engourdir le malaise qu'on ressent. Les professionnels de la santé mentale sont aussi à notre disposition afin d'échanger et nous appuyer tout au long de notre cheminement personnel et professionnel.
Les urgences qui soudainement troublent notre stabilité habituelle, sont initialement perçus négativement. On peut se sentir démoli, sans issue, incapable de continuer ou extrêmement en colère. Pour rebondir, un regard détaché sur ces événements est nécessaire afin de donner du sens à ces expériences. Suite à une urgence ou une crise, pour plusieurs d'entre nous, le retour au fonctionnement habituel se fera de lui-même dans les jours suivants.
Pour certains, des conversations avec un professionnel, dans un cadre confidentiel, seront indiquées pour obtenir des conseils objectifs en vue de recouvrer la capacité à rebondir et faire face aux événements urgents et critiques futurs. La consultation avec un professionnel de la santé mentale est une occasion en or pour apprendre, se développer et maintenir sa résilience. Il n'y a aucune honte à consulter les Services d'aide aux employés, le psychologue divisionnaire ou celui de votre communauté. Consulter c'est prendre sa santé mentale en main.