Vol. 76, Nº 4Reportages externes

Cultiver l’état de pleine conscience

Une formation pour le rétablissement ultérieur des policiers

'officier Eric Russell, ancien Marine américain, participe à une formation à la résilience axée sur la pleine conscience dans le cadre du projet pilote lancé par le Service de police de Hillsboro en 2013. Crédit : Darci VandenHoek, Service de police de Hillsboro

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Les premiers intervenants font face quotidiennement à des événements traumatisants : souffrances, drames et décisions funestes qui les obligent parfois à affronter des actes de violence extrêmes contre l'humanité.

L'intervention lors de ces événements présente des risques inhérents. Les membres saisissent les risques tactiques et savent les atténuer avec des techniques précises, dont celles de l'art de la guerre. Mais les risques humains, s'ils sont omniprésents, ne sont pas toujours bien compris.

L'examen des ouvrages passés et récents sur le stress professionnel des policiers laisse entrevoir l'ampleur des traumatismes que ceux-ci subissent. Les médias d'information et de divertissement s'attachent à présenter avec sensationnalisme, à glorifier ou même à diaboliser la façon dont les policiers affrontent les actes de violence.

Ces épreuves de force ne constituent pas la source singulière de traumatismes. Souvent, le traumatisme survient de manière plus subtile dans l'exposition à la souffrance humaine, une exposition continue étant exacerbée par le temps. Au fil d'une carrière, les membres sont martelés par la souffrance humaine, le stress professionnel chronique et les événements traumatisants.

Les conséquences, visibles et invisibles, demeurent mal comprises tant pour le premier intervenant, que pour sa famille, l'organisation et la collectivité. Les facteurs de stress professionnel sont une menace évidente et immédiate pour tous ces groupes. Mais c'est la nature du métier que d'affronter le risque, et nous semblons l'affronter au mieux avec résignation et l'acceptation des effets négatifs du traumatisme.

Des leaders chevronnés et rompus au métier de policier et aux disciplines connexes ont fait preuve d'initiative en matière de mesures d'intervention face aux incidents traumatisants. De ces démarches novatrices sont issus le modèle de gestion du stress à la suite d'un incident critique (GSIC) et divers protocoles de gestion post traumatique, adoptés par de nombreux organismes dans les dix dernières années. Dans certains cas, les organes législatifs ont imposé ces protocoles. Dans d'autres cas, les organismes ont créé et adopté des pratiques exemplaires en la matière.

Le modèle GSIC a évolué au cours des dernières décennies et propose des mesures d'intervention post-traumatique importantes. Élément essentiel des organisations de sécurité publique, il doit continuer d'évoluer au 21e siècle. Cela dit, il demeure un modèle d'intervention réactive.

Le temps est venu pour les dirigeants policiers et les membres de la collectivité de collaborer à l'élaboration d'une intervention préventive. Il n'existe pas de solution simple au stress professionnel, mais une réflexion sur les notions conceptuelles du phénomène amène de nouvelles possibilités de résilience, d'espoir, de santé et de mieux-être. La notion clé est toute simple : une formation pré-traumatique.

La santé mentale, physique et spirituelle

Un modèle qui développe la résilience peut avoir une incidence positive sur le bien-être du policier et sur l'issue des affrontements entre le policier et les citoyens. Ce modèle intégré repose sur la relation entre la santé du corps et de l'esprit.

Voici les dimensions abordées : prévention en santé mentale, capacité de cultiver la santé cognitive (pleine conscience), santé physique, bien-être social et santé spirituelle.

Les définitions abondent, mais dans le présent contexte, résilience s'entend (trad.) « de la capacité de gérer des niveaux élevés de changements perturbateurs; de préserver sa santé et son énergie sous la pression constante; de se remettre des revers; de surmonter les obstacles; d'adopter un nouveau mode de travail et de vie lorsque les anciens modes ne sont plus viables; de réaliser tout ceci sans agir de façon dysfonctionnelle ou néfaste » (Siebert, 2005).

À la base de ce modèle : l'état de pleine conscience. Développer une conscience aiguë de soi par des exercices de pleine conscience constitue une plate-forme pour une croissance personnelle et professionnelle, la guérison et la réalisation de soi que peu de modes d'intervention peuvent apporter à la culture policière.

Jon Kabat Zinn définit la pleine conscience comme (trad.) « la conscience attentive d'instant en instant du simple moment présent, dans une attitude d'acceptation et sans jugement » (Kabat Zinn, 1990).

Vers la fin des années 1970, M. Kabat Zinn a élaboré le modèle de réduction du stress par la pleine conscience (RSPC) à la faculté de médecine de l'Université du Massachusetts. De nombreuses études ont démontré l'efficacité de la RSPC pour améliorer la santé et le bien-être participants à cette session de formation de huit semaines, même chez les étudiants qui n'ont pas poursuivi la pratique de la pleine conscience.

Cette pratique de méditation séculaire nous enseigne à nous asseoir en silence et à nous concentrer sur la respiration, sans jugement envers les pensées qui surgissent. Une technique fort simple, mais qui peut être la chose la plus difficile à pratiquer.

Des avantages convaincants

Les leaders policiers seront encouragés par la manne de preuves scientifiques étayant l'efficacité de la formation à la pleine conscience dans un éventail de disciplines. Citons les études remarquables d'Elizabeth Stanley et d'Amishi Jha (2009) sur l'enseignement des techniques de pleine conscience aux Marines américains. Les données crédibles ne manquent pas non plus sur l'utilité de l'état de pleine conscience pour les policiers.

L'adoption d'une pratique de pleine conscience présente des possibilités inexploitées et fait écho à la tradition guerrière d'une compassion solide et d'une action compétente (Strozzi Heckler, 2003). Une telle formation favorise une connaissance étoffée de la situation, laquelle favorise le développement du rendement cognitif. Les avantages sur le plan de la santé et du rendement pour les membres et leur organisation sont clairs : des policiers en santé et un investissement rentable pour l'organisation.

Dans le but de passer à un modèle de prévention, le Service de police de Hillsboro (SPH) a lancé en 2013 un projet pilote visant à initier les policiers à la pratique de la pleine conscience.

En collaboration avec l'Université Pacific et la clinique de réduction du stress de Hillsboro, le SPH a mis au point la formation à la résilience axée sur la pleine conscience (FRPC). Inspirée des principes de la RSPC de M. Kabat Zinn, cette formation de huit semaines est offerte aux policiers et au personnel civil à raison d'une séance hebdomadaire de deux heures et demie dans un studio de yoga.

À la sixième semaine, le cours comporte une retraite en silence d'une journée. Un instructeur accrédité à la RSPC de la clinique de réduction du stress de Hillsboro a offert le cours. Trois cohortes l'ont suivi de l'automne 2013 au printemps 2014, et 48 étudiants l'ont réussi.

Une étude menée par l'Université Pacific révèle une amélioration sur plusieurs plans : la perception du stress administratif, le stress opérationnel, le sommeil, la gestion de la douleur, la colère (maîtrise des émotions), la réactivité, l'épuisement, la résilience et la capacité d'agir avec une conscience du présent. Il s'agit d'une étude révolutionnaire qui ouvre la voie à d'autres études et à l'adoption de la formation à la pratique de la pleine conscience chez les policiers.

Fait remarquable, cette formation a eu une incidence positive sur la gestion du sommeil. Le manque de sommeil constituant un grave problème de santé influant sur la gestion du risque chez les policiers, il s'agit d'un résultat encourageant. Le cours comme mesure préventive permettrait d'inculquer aux membres les capacités d'exceller, plutôt que de simplement survivre.

Une collaboration échelonnée sur plusieurs années a mené à la création du Pacific Institute on Community and Organizational Wellness à l'Université Pacific. L'institut offrira une formation FRPC aux premiers intervenants de la région, approfondira la recherche sur la résilience des intervenants et de la collectivité, et parrainera des forums de leadership axés sur le dialogue et l'innovation.

L'institut entend aussi développer une formation au leadership axée sur la pleine conscience pour les dirigeants policiers. Inculquer à ces derniers les moyens de cultiver un état d'esprit axé sur l'art du leadership est essentiel pour favoriser la santé des premiers intervenants et des organisations. De plus, le SPH élaborera des modules de formation concis et pragmatiques intégrés à la formation tactique des policiers.

La formation de l'intervenant, le développement de leaders sensibilisés et la capacité de cultiver une pratique de pleine conscience, par des moyens simples, dans le cadre du travail du policier, favorisent une grande authenticité dans un corps policier, et stimulent le développement communautaire.

Apprendre, collaborer et expérimenter

Voici quelques éléments et recommandations clés pour aller de l'avant. Consultez des études sur la formation à la pratique de la pleine conscience dans l'armée. Envisagez un abonnement à un des nombreux magazines spécialisés dans cette discipline. Lisez un ouvrage sur des sceptiques convertis à cette pratique; les librairies regorgent de publications récentes sur le sujet. La pratique de la pleine conscience apparaîtra sans tarder comme une véritable science dénuée de sentimentalité.

L'efficacité de la formation du SPH est le fruit d'un leadership coopératif. Innover hors du paradigme policier en nouant des partenariats interdisciplinaires est impératif. L'évolution tient d'abord à la collaboration. Sans cette collaboration et la diffusion d'idées qui dérangent, on n'accomplira rien qui vaille.

Établir des rapports avec les universi-taires, les professionnels de la santé mentale, des spécialistes de la condition physique, des professeurs de yoga et de méditation est important pour favoriser l'enrichissement mutuel des compétences culturelles. Sensibilisez le professeur de yoga et de méditation à la culture policière et à la réalité du membre sur le terrain et au bureau. Étirez-vous sur le tapis de yoga afin de vous initier à son monde. Les dividendes sont évidents, et vous ne vous en porterez que mieux.

Mettez sur pied une équipe multidisciplinaire qui expérimentera la formation à la pratique de la pleine conscience. Procédez par étapes; utilisez une appli pour téléphone; il en existe d'excellentes. Utilisez un balado d'une université ou d'un centre de méditation. Prenez une initiative, mesurez-en les effets. Évaluez et corrigez le tir. Les possibilités sont illimitées.

La pratique de la pleine conscience nourrit l'âme du guerrier. Aucune autre initiative de formation en milieu policier n'est aussi radicale et n'offre autant de possibilités pour revitaliser la culture policière. Dirigez par l'exemple.

Références

Kabat-Zinn, J. Full Catastrophe Living . New York, Delta Publishing,1990.

Strozzi-Heckler, R. In Search of the Warrior Spirit: Teaching awareness disciplines to the Green Berets . Berkeley, North Atlantic Books, 2003.

Siebert, A. The Resiliency Advantage . San Francisco, Berrett-Koehler, 2005.

Stanley, L. et A.P. Jha. « Mind Fitness: Improving operational effectiveness and building warrior resilience », Joint Force Quarterly, n° 55 (2009).

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