Vol. 77, Nº 1Reportages

Des relations synergiques

Grâce aux AL, la GRC accroît son influence à l'étranger

De gauche à droite, le comm. adj. Kevin Blake, de la Jamaican Constabulary Force (JCF); le s.é.-m. Dave Rampersad, de la GRC; le chef du Service de police de Winnipeg, Devon Clunis et le comm. Owen Ellington (à la retraite) de la JCF, en Jamaïque. Crédit : Jamaican Constabulary Force

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Depuis son affectation comme agent de liaison (AL) de la GRC à l'étranger, il y a plus de deux ans, l'insp. Peter Lambertucci n'a jamais accompli les mêmes tâches deux jours de suite.

Un jour, il s'affaire à une enquête antidrogue, le lendemain, il pourrait s'agir d'une enquête sur la traite de personnes, un homicide ou une menace à la sécurité nationale.

« Un des défis du poste, c'est l'éventail de compétences qu'il faut avoir, explique-t-il. D'emblée, il faut être rompu à tous les aspects d'une enquête criminelle. »

En tant qu'élément du réseau d'AL, il soutient la GRC et d'autres services de police du Canada dans les enquêtes au pays qui ont un lien avec l'étranger et aide à faire progresser les enquêtes ayant une filière canadienne.

Pôle international

À l'issue de près de deux ans à Kuala Lumpur (Malaisie), l'insp. Lambertucci a été réaffecté à Canberra, en Australie, un des 18 pays de sa zone de responsabilité (ZR) lorsqu'il était à Kuala Lumpur.

« À l'inauguration du poste en Australie à l'été, nous avons pu scinder la ZR entre Canberra et Kuala Lumpur », précise-t-il.

Les AL sont basés à l'ambassade, au consulat ou au haut commissariat du Canada et travaillent étroitement avec des partenaires canadiens comme le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (MAECD) et l'Agence des services frontaliers du Canada.

Le bureau de Canberra est l'un des quatre nouveaux postes ouverts en 2014 à titre d'essai dans le cadre d'une nouvelle stratégie, Pôle international, dans le but d'accroître la portée, la visibilité et l'influence de la GRC à l'étranger.

« Nous souhaitons établir une présence solide à l'échelle mondiale », souligne le surint. pr. Eric Slinn, directeur général des Services fédéraux et internationaux de la GRC. « Les communications ont rapproché les frontières, ce qui complique la répression du crime organisé et des menaces à la sécurité nationale. Désormais, nous devons mener la lutte à l'étranger. »

Les nouveaux postes établis à Canberra, à Ankara (Turquie), à Panama City (Panama) et à Nairobi (Kenya) sont des endroits stratégiques où la présence d'AL sera utile pour les orga-nismes d'application de la loi canadiens.

Pour la première fois à la GRC, dix analystes criminels sont affectés à l'étranger. Chacun travaille avec un ou plusieurs AL et, dans certains cas, l'analyste est intégré au service de police local.

« Nous avons jugé utile de détacher des analystes criminels sur place avec les AL pour procéder à des analyses et monter leur propre réseau, explique le surint. pr. Slinn. Il s'agit d'obtenir l'information à la source. Rien ne remplace des effectifs sur place pour obtenir des résultats. »

Accès à des renseignements pour les analystes à l'étranger

Dix analystes de renseignements criminels de la GRC ont été déployés de Londres à Dubaï dans le cadre d'un projet pilote visant à recueillir de l'information sur le terrorisme et le crime organisé transnational dans des secteurs qui ont une incidence sur la sécurité des Canadiens.

« Les analystes envoyés à l'étranger peuvent obtenir des renseignements à la source et les transmettre au Canada », explique le surint. pr. Warren Coons, directeur général du Centre national de coordination du renseignement.

Kathleen Macoomb, l'analyste affectée à l'étranger (AAE) à Mexico (Mexique), fait ressortir des liens, des habitudes et des tendances de l'information qu'elle recueille.

« Je peux relier des dossiers de ma zone de responsabilité qui ont un lien avec le Canada, explique-t-elle. Les agents de liaison sont très occupés, mais je peux étudier leurs dossiers et les miens, puis établir des liens entre eux. »

Les AAE créent un réseau solide de partenaires dans leur secteur. Les conversations en personne leur permettent d'établir et d'entretenir des rapports de confiance qui facilitent l'échange d'information.

« Mes partenaires me donnent de l'information sur des individus, des tendances ou des itinéraires de drogue que je peux transmettre au Canada pour ouvrir des pistes d'enquête ou produire des renseignements stratégiques, ajoute Mme Macoomb. Si nous n'étions pas sur place, nous n'aurions pas accès à ces renseignements. Nous pourrions connaître seulement la version canadienne d'un dossier ou même ne jamais prendre connaissance d'un sujet en particulier. »

De telles occasions de collaborer avec des partenaires à l'étranger permettent à la GRC d'établir des liens importants entre des dossiers de crime organisé et de terrorisme et, ainsi, de contribuer à la sécurité nationale du Canada et aux enquêtes internationales menées dans les zones de responsabilité.

Jusqu'à présent, le projet pilote des AAE a surpassé les attentes, selon Debbie Counsel, superviseure des AAE.

« Prenons, par exemple, le trafic de drogue. Nous pouvons récupérer une livraison contrôlée de drogue en sol canadien sans en connaître la source. Nos analystes à l'étranger réussissent à faire des liens et à déterminer d'où et de qui la drogue provient, dit-elle. Nous disposons donc d'une toute nouvelle source d'information.»

— Deidre Seiden

C'est ce que souhaitait le serg. Marc Labonté, le nouvel AL en Turquie, depuis sa première affectation au Maroc, il y a plusieurs années.

« À l'époque, j'étais responsable de 26 pays, et c'était trop d'information à traiter, explique-t-il. Si je devais avoir un partenaire, je préférerais que ce soit un analyste apte à relever les tendances, à créer des tableaux et à rédiger des rapports. Forts de cette capacité ici en Turquie, nous sommes à même de recueillir et de transmettre à la Direction générale l'information voulue selon la perspective locale de l'analyste. »

Les 14 nouveaux postes portent les effectifs internationaux de la GRC à 51, soit un de plus que l'objectif initial du surint. pr. Slinn.

« Si nous voulons étendre notre répression à l'étranger, ce qui selon moi s'impose, il nous faut intensifier notre présence à ces postes », précise-t-il.

Nouer des relations

Intensifier la présence de la GRC n'est qu'un premier pas. Une fois sur place, les AL et les analystes doivent s'atteler à la tâche.

L'un des messages clés assimilés dans la formation préaffectation est l'importance de nouer les relations nécessaires à leur nouveau poste.

Ils jouissent du soutien du Centre de coordination et de liaison internationale (CCLI), qui leur affecte un agent de module.

« Il s'agit d'établir un réseau », explique le s.é.-m. Richard Marcotte, agent de module chargé du territoire Asie-Pacifique. « Pour répondre à l'avalanche de demandes, l'AL doit avoir les contacts et les effectifs compétents en place. »

Ensuite, il faut multiplier ceux-ci par quelque 21 pays, selon le nombre d'États qui relèvent de sa ZR.

« Lorsque l'AL a déjà un contact, il peut faire des appels », précise le s.é.-m. Éric Lalancette, coordonnateur régional au CCLI. Autrement, il doit aller sur place et établir un réseau pour trouver la réponse ou l'information recherchée par le service demandeur au Canada. »

Et ces partenariats reposent sur la confiance.

« Si vous pouvez gagner la confiance de ces autres services de police, ils vous communiqueront des renseignements, explique le surint. pr. Slinn. Vous leur rendrez la pareille et amorcerez une relation de confiance qui vous permettra de résoudre davantage de crimes. »

Avancement des opérations

Comme l'insp. Lambertucci comptait déjà un réseau en Australie, il s'est consacré à renforcer ses relations. C'est l'aspect le plus satisfaisant de son travail.

« Il faut se rappeler que le travail de l'AL repose essentiellement sur les liens qu'il noue. Quelle satisfaction d'obtenir des résultats à partir des relations et des partenariats en place », constate-t-il.

Sans l'apport des AL, bien des enquêtes de dimension internationale prendraient beaucoup plus de temps ou seraient dans l'impasse. Les AL travaillent pour toutes les divisions de la GRC et tous les services de police canadiens.

En 2011, le cap. Trent Marshall, de concert avec l'équipe de Crimes graves et Crime organisé de la Police fédérale (CGCOPF)à Kelowna (C.-B.), a amorcé une enquête sur une organisation criminelle établie dans la province qui exportait de la marihuana et importait de la cocaïne. L'enquête consistait notamment à effectuer une mission d'infiltration à Mexico (Mexique).

On a donc pris des dispositions par l'entremise de l'AL pour mettre les enquêteurs du Canada en contact avec les autorités compétentes à Mexico.

« Il nous a fallu exécuter un plan opérationnel très détaillé pour mener à bien la mission d'infiltration dans un pays étranger, explique le cap. Marshall. L'opération a si bien marché que nous en avons réalisé deux autres au Panama et, là encore, le bureau de l'AL en Colombie (responsable du Panama) nous a été d'un précieux secours. »

Ce n'est pas la première fois que le cap. Marshall a collaboré avec l'AL d'un autre pays. En 2010, les AL du Brésil et du Mexique ont assisté une enquête de Crimes graves et Crime organisé sur l'importation d'une vaste cargaison de cocaïne dans un broyeur à fruits en provenance d'Argentine. L'enquête a abouti à la condamnation de trois hommes.

Au pays et à l'étranger

Le travail de l'insp. Lambertucci, du serg. Labonté et des autres AL repose sur l'échange d'information, qui se fait en vertu de protocoles d'entente et par des conversations informelles en personne.

C'est une relation réciproque; les éléments qu'ils sont autorisés à communiquer seront transmis à leurs partenaires à l'étranger. La plupart des AL de la GRC font partie d'un groupe ou d'une association qui les met régulièrement en contact avec leurs homologues des É.-U., d'Australie ou du R.-U., ainsi qu'avec leurs partenaires locaux.

« Si vous avez de bons rapports avec vos partenaires, ceux-ci vous signaleront ce qu'ils savent au sujet d'un Canadien se trouvant dans leur pays, explique le s.é.-m. Marcotte. C'est ainsi que vous obtiendrez l'information. Par la police ou un autre contact, vous apprendrez qu'un individu ou un groupe canadien y exercent des activités. »

C'est alors que l'AL entamera une enquête, ce que le surint. pr. Slinn souhaite voir se produire plus souvent. Il aimerait que les AL adoptent un modèle plus axé sur les missions que sur les tâches.

Il présente l'analogie des policiers de première ligne qui, lorsqu'ils ne sont pas dépêchés sur les lieux d'un incident, prennent l'initiative d'une autre façon, par exemple en établissant un contrôle routier pour s'assurer que les gens bouclent leur ceinture de sécurité.

« J'aimerais que nos AL cherchent les occasions de faire avancer les dossiers opérationnels sur la sécurité nationale en se penchant sur le genre de criminalité typique dans leur ZR, au Moyen-Orient par exemple », souligne le surint. pr. Slinn.

Si les AL jouent un rôle déterminant à l'étranger, ils n'ont aucune compétence à l'extérieur du Canada et s'en remettent donc à leurs partenaires.

C'est une relation mutuellement avantageuse. Le Canada non seulement communique des informations à ses partenaires et aide les organismes étrangers dans les enquêtes concernant le Canada, mais il offre aussi un renforcement des capacités aux pays.

La GRC tire parti des organisations avec lesquelles elle collabore en développant des liens de confiance et en offrant une formation aux enquêtes et aux techniques d'entrevue judiciaire, de surveillance et d'arraisonnement de navire.

On procède à une mission d'évaluation des besoins, de concert avec le MAECD. Puis on rencontre les organismes partenaires pour leur demander de quelle façon on peut les assister.

« Ce n'est pas à nous de leur dire ce dont ils ont besoin, précise l'insp. Lambertucci. Nous souhaitons obtenir leur concours, et en les ai-dant, nous en retirons des avantages au Canada. »

Un défi satisfaisant

Pour être efficaces, les AL doivent connaître les lois et la culture de leur pays d'attache; la connaissance de la langue est aussi un atout. Ils doivent aussi se familiariser avec les méthodes et les politiques de la police locale, qui peuvent être fort différentes de celles en place au Canada.

« Nos AL devraient posséder une expé-rience opérationnelle variée, souligne l'insp. Rich Baylin, off. resp. d'Opérations et Développement policier internationaux. Une expertise en matière de crimes graves, de drogues, de crimes financiers et de sécurité nationale est essentielle. »

« Leur capacité à prendre des décisions éclairées doit être confirmée. Ils doivent posséder un certain degré de connaissances, de compétences et d'aptitudes pour prendre des décisions au quotidien », explique l'insp. Lambertucci.

S'ils jouissent de l'appui du CCLI et du réseau d'autres AL étrangers pour obtenir conseil, en général ils sont laissés à eux-mêmes.

C'est un travail exigeant, mais important. « C'est ce qui le rend si satisfaisant, explique le serg. Labonté. Nous goûtons à l'attrait de villes et de cultures différentes, et même aux méthodes particulières d'autres services de police. »

Et c'est la sécurité du Canada qui en bénéficie. « Sans nos AL, nous ne profiterions pas de l'assistance que nous accordent nos partenaires étrangers », ajoute le s.é. m. Lalancette.

Ce sont les relations que tissent les AL avec leurs partenaires et leurs réseaux locaux, comme les policiers et les avocats, qui les rendent si utiles au Canada dans sa capacité de mener des enquêtes criminelles à l'étranger.

« Nous n'avons aucun pouvoir à l'étranger, explique le cap. Marshall. Nous avons besoin de leurs contacts. Nous devons collaborer avec nos partenaires de façon beaucoup plus régulière pour endiguer le crime à la source, plutôt que le réprimer en aval ici au Canada. »

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