Vol. 78, Nº 2Reportage

Deux policiers tenant des armes à feu.

Éviter les conséquences fatales

Stratégies de conditionnement mental pour la survie

Maintenir le niveau le plus approprié de connaissance de la situation peut aider à prévenir des erreurs fatales. Crédit : GRC

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Dans les années 1970, la formation en survie des policiers a connu un virage après une série de décès parmi les rangs de ces derniers, dont un tragique incident au cours duquel deux criminels lourdement armés ont tué quatre patrouilleurs routiers qui avaient tous moins de deux ans d'expérience, lors d'un contrôle routier apparemment ordinaire à Newhall (Californie).

En décrivant cet incident dans son guide de survie, Tom Kohl a dit que c'était l'un des jours les plus sombres de l'histoire de la police. L'enquête menée après le massacre de Newhall a révélé que les policiers n'avaient pas reçu une formation pratique adéquate1.

Le présent article porte sur trois méthodes de conditionnement mental qui font aujourd'hui partie de la formation de sécurité opérationnelle. Il donne aussi des exemples concrets fournis par des policiers quant à la manière de les appliquer.

Ces méthodes sont documentées en détail dans l'ouvrage de Charles Remsberg intitulé Tactical Edge2. Même si elles sont enseignées depuis des décennies, il est utile de les rappeler.

Les 10 erreurs fatales

En cherchant sur Internet, on trouve facilement plusieurs listes des erreurs communes du policier et des façons de les éviter. Voici 10 erreurs fatales qu'il vaut la peine de souligner :

  • Relâcher sa vigilance, tomber dans l'apathie
  • Se faire prendre dans une position vulnérable
  • Ne pas percevoir les signes de danger
  • Se détendre trop tôt
  • Se fier à de fausses impressions ou à des suppositions
  • Faire preuve de courage imprudent
  • Laisser accumuler la fatigue et le stress
  • Ne pas se reposer suffisamment
  • Avoir une mauvaise attitude
  • Ne pas entretenir son équipement

Exemple : fausses impressions et suppositions

Au cours d'une poursuite à grande vitesse lancée à la suite d'un vol à main armée, le policier au volant d'un véhicule de patrouille routière identifié a percuté une voiture de police banalisée, causant un accident mortel. Il avait présumé que l'autre conducteur se rangeait pour lui permettre de le dépasser, à force d'avoir été conditionné à penser qu'en temps normal, « un véhicule qui se trouve devant un véhicule de police dont les gyrophares et la sirène sont activés lui cède toujours la voie ». Il croyait probablement aussi que les autres véhicules de police dans le secteur utilisaient la même fréquence radio que lui.

En fait, la voiture banalisée s'apprêtait à faire demi-tour après avoir reçu de nouvelles instructions. Son conducteur pensait peut-être que le policier au volant du véhicule identifié avait reçu le même message. Malheureusement, ils utilisaient des fréquences différentes.

L'échelle de vigilance

Dans son ouvrage intitulé Tactical Edge, Charles Remsberg présente l'échelle de vigilance, un modèle efficace de connaissance de la situation et de perception du stress qui comporte cinq niveaux. Il est crucial de maintenir le niveau de vigilance le plus approprié.

  • Blanc : Inconscience de ce qui se passe, rêverie, manque de concentration, cerveau au point mort
  • Jaune : Vigilance détendue, observation attentive de la situation sans cible particulière
  • Orange : Menace possible, imprévisibilité, vigilance accrue, attention centrée sur la menace
  • Rouge : Grand danger imminent, menace de mort, attention étroitement centrée sur la source de la menace (mains, couteau, arme à feu, véhicule)
  • Noir : Instinct envahissant de combat ou de fuite (panique, paralysie), surcharge visuelle, perte de concentration et incapacité à prendre une décision

Exemple : inconscience de ce qui se passe

Alors qu'un policier remplissait des formulaires de contravention dans le stationnement d'une épicerie de banlieue, un témoin a vu un individu manifestement agité s'approcher de lui en criant des injures. Le policier ne lui a prêté aucune attention, a tourné le dos à la menace et a continué à remplir son formulaire. Il était peut-être dans un état d'esprit « blanc », se disant que la situation n'avait rien d'anormal : « Un autre conducteur qui s'énerve à cause d'une contravention. »

L'individu a sorti un couteau et s'est précipité vers le policier, qui a paniqué en se retournant (passage du « blanc » au « noir » : stress paralysant). Il a laissé tomber son carnet de contraventions et a jeté les mains en l'air. Même si le policier était armé, il semblait abasourdi et n'a rien fait pour se protéger, selon les dires du témoin. L'assaillant l'a poignardé à mort.

Selon les statistiques sur la sécurité des policiers, une personne hostile munie d'une arme tranchante peut franchir une distance de 3,4 mètres en une seconde.

Mythes et fausses croyances

Des entrevues menées avec des policiers dont le partenaire a été tué ou grièvement blessé révèlent que les idées préconçues de ce dernier avaient réduit sa vigilance ou l'avaient amené à réagir de manière inefficace à un danger soudain.

Certaines de ces idées peuvent sembler dépassées à première vue, mais beaucoup d'entre elles persistent et ont donné lieu à des décès dans les dernières années :

  • C'est une situation ordinaire.
  • Nous sommes deux/j'ai du renfort.
  • Il ne se passe jamais rien le dimanche.
  • Ce ne sont que des jeunes.
  • Ce n'est qu'une infraction au code de la route.
  • Ça ne peut pas arriver ici.
  • Je peux gérer ça/le stress n'a aucun effet sur moi/je suis armé et formé pour ça.
  • Les femmes ne se battent pas et ne commettent pas de crimes violents.

Exemple : les femmes ne braquent pas les banques

À l'extérieur d'une banque où une alarme avait été déclenchée par une journée d'été torride, un témoin a vu un policier crier des instructions à une femme vêtue d'un long manteau de cuir qui se trouvait près de l'immeuble. Comme elle ne réagissait pas, il a couru vers elle en l'avertissant de se mettre à l'abri. La femme, qui venait de braquer la banque et qui cachait un fusil au canon scié sous son manteau, l'a alors abattu. Le policier croyait-il que les femmes ne braquent pas les banques? Peut-être. En tout cas, il n'a pas perçu comme un signe de danger le fait que la femme semblait trop chaudement vêtue pour la température.

Aujourd'hui, la formation en survie des policiers mise sur le conditionnement mental pour neutraliser l'instinct de combat ou de fuite provoqué par un stress extrême, les erreurs d'inattention ou de perception et les mythes. Mais d'autres moyens de prévention existent.

Supervision au sein du détachement

Il est essentiel que les superviseurs des poli-ciers affectés à des fonctions opérationnelles notent et signalent les erreurs potentiellement fatales, les problèmes de vigilance et les mythes dangereux, puis qu'ils en discutent et les passent en revue régulièrement. Le Modèle d'intervention pour la gestion d'incidents (MIGI) de la GRC se prête à merveille à ce genre de discussion.

Les policiers doivent savoir à qui ils ont affaire dans leur zone de patrouille et à quels risques leurs interactions les exposent. Trop souvent, les attaques violentes découlent de comportements mal interprétés; une personne apparemment docile peut, par exemple, nourrir une profonde hostilité. Toute information essentielle à la sécurité des policiers doit être communiquée lors du changement de quart et retransmise dans des affichages, par courriel ou par d'autres moyens.

Superviseur immédiat

Si le superviseur ne parle pas de ce qui se passe dans sa zone de responsabilité, les policiers ne s'en parleront peut-être pas non plus. Ils seront alors mal outillés pour réagir adéquatement aux dangers possibles. Le superviseur doit mettre de côté la paperasse et patrouiller pour observer les membres, les soutenir et s'assurer qu'ils font leur travail de manière aussi sécuritaire que possible. Surtout, il doit faire un suivi avec eux si des mesures s'imposent.

Formation continue

Lors du rassemblement de l'équipe de veille avant le début de chaque quart, on peut aborder un sujet de perfectionnement ou de formation. Ainsi, chaque policier reçoit régulièrement une formation continue de quelque sorte.

On peut alors renforcer le conditionnement mental dans un contexte opérationnel, en profitant de l'expérience du superviseur de quart pour souligner ce qui peut arriver quand on se laisse mettre dans une position vulnérable, par exemple. Cela vient compléter la formation pratique que les policiers ont suivie, et peut-être oubliée depuis longtemps, sur la façon de s'approcher d'un véhicule ou d'une résidence en toute sécurité, l'attention à porter à l'endroit où ils se tiennent, la façon de frapper à une porte et ainsi de suite.

En conclusion

Les incidents mortels confirment l'importance de la formation continue en matière de tactique et de conditionnement mental. Les policiers sont exposés à des me-naces meurtrières, comme le démontrent les horreurs survenues à Mayerthorpe (Alb.) et, plus récemment, à Moncton (N.-B.). Le MIGI qui est présenté à l'école de la GRC et qui est obligatoire pour tous ses policiers contribue de façon importante à la gestion des risques.

Éviter les erreurs fatales, maintenir le niveau de conscience approprié et remettre en question les croyances personnelles sont aussi des principes faciles à renforcer, qui s'avèrent très utiles lorsqu'ils s'ajoutent à une supervision et à des tactiques efficaces.

John Walker a étudié, conçu et mis en place des programmes opérationnels et de gestion pour des services de police au Canada et à l'étranger, notamment sur la formation aux interventions tactiques, la gestion des situations de crise et la gestion du stress et des traumatismes lors de négociations pour la libération d'otages.

Références

1Kohl, Tom. Staying Alive on the Job - A Survival Guide for Peace Officers, chapitre 3 (The California Newhall Incident).

2Remsberg, Charles. Tactical Edge: Surviving High-Risk Patrol, Calibre Press, 1985.

Avec la collaboration du comm. adj. Frank Richter (ret.), du s.é.-m. Bill Shumborski (ret.) et du serg. Jean Caron (ret.).

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