Vol. 78, Nº 2Dernières tendances

Femme assise devant un ordinateur.

Faire échec au crime à l’aide d’algorithmes

Mathématiciens et policiers de Saskatoon font équipe

Le service de police de Saskatoon, le ministère de la Justice et l'université de la Saskatchewan unissent leurs forces pour créer un laboratoire d'analyse, le premier en son genre dans la province. Crédit : Chef adjoint Jeff Bent, service de police de Saskatoon

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Voici qu'un garçon de huit ans de Saskatoon (Sask.) est porté disparu. Les enquêteurs s'activent en tous sens pour trouver des pistes – l'enfant pourrait être n'importe où. Dans le meilleur des cas, il a fait une fugue et reviendra bientôt; dans le pire des cas, il a été enlevé.

Où la police doit-elle chercher? Grâce à un nouveau laboratoire informatique, le service de police de Saskatoon (SPS) espère, à l'aide de chiffres, pouvoir prévoir, prévenir et résoudre les cas d'enfants disparus.

« Je ne suis pas mathématicien, je ne comprends rien aux algorithmes, avoue le chef adjoint du SPS Jeff Bent, policier depuis plus de trente ans. Mais il est temps de reconnaître la capacité de l'analytique prédictive à aider la police à faire appliquer la loi et à élucider des crimes. »

D'où le recours du SPS et du ministère provincial de la Justice à des informaticiens et à des mathématiciens de l'université de la Saskatchewan. L'équipe de chercheurs s'attaquera aux problèmes que la surabondance de données cause à la police afin d'empêcher la perpétration d'actes criminels. Leur première tâche consistera, dans le cadre du projet Missing Persons, à retrouver des enfants disparus.

« Certains de ces enfants vont finir sur le marché du sexe, qui transcende toutes les frontières, municipales ou autres, analyse Brian Rector, directeur exécutif, Ministère de la Justice. Parvenir à compiler toutes ces données pourrait nous permettre de sauver des vies. »

Dès cette année, le Saskatoon Police Predictive Analytics Lab (SPPAL) analysera des données de la GRC, des services de police municipaux de Saskatchewan et des services d'aide à l'enfance pour brosser un tableau des facteurs de risque, des tendances et des comportements fréquents chez les jeunes portés disparus. Pour chaque enfant, le SPPAL évaluera la probabilité qu'il soit porté disparu, et en cas de disparition, il se servira de ces données pour le retrouver.

« Nous ne faisons pas que maintenir l'ordre : nous nous efforçons d'empêcher que des crimes soient commis, commente le chef adjoint Bent. Nous comptons sur le labo pour nous permettre d'intervenir plus tôt dans la vie des personnes vulnérables qui risquent de devenir des victimes ou des criminels. ».

Méthode chiffrée

Logé au quartier général de la police de Saskatoon, le nouveau laboratoire, d'apparence modeste et banale, est rempli d'ordinateurs ronflants et d'informaticiens affairés qui épluchent des milliers de fichiers pour dégager les tendances et habitudes caractérisant les victimes et les malfaiteurs.

La plupart des services de police se servent déjà de données statistiques pour tracer le portrait de la criminalité et, par ciblage des points chauds, repérer les régions les plus touchées par le crime.

Bon nombre de services de police, dont le SPS, poussent maintenant plus loin leur utilisation des calculs en masse : délaissant les méthodes statistiques traditionnelles, ils s'intéressent, armés d'algorithmes, au calcul de probabilités et aux caractéristiques des grands ensembles.

« Ce type d'analyse de données est employé par toutes sortes d'organisations, alors pourquoi pas par la police? », fait valoir Daniel Anvari, chercheur à l'université de la Saskatchewan.

Ce genre d'exploration de données, appelée analytique prédictive, sert à toutes les sauces, du calcul de la cote de crédit à la formation d'offres sur mesure aux clients fidèles. La police, elle, s'en sert pour pister individus et incidents pouvant l'aider à prévenir ou à élucider des crimes.

« C'est un outil d'aide à la prise de décisions, commente M. Anvari. L'algorithme ne prend lui-même aucune décision, mais il peut mettre en évidence des choses qui auraient échappé à un regard humain, et révéler l'existence de constantes ou de corrélations insoupçonnées. »

La police a toujours recouru aux techniques et au matériel les plus perfectionnés pour accroître son efficacité, qu'il s'agisse de pistolets radars, de robots ou de quoi que ce soit d'autre. Un logiciel de prédiction n'est qu'un outil de plus dans l'arsenal de la police à l'ère du numérique.

Le SPS entend conjuguer l'emploi de ce logiciel avec d'anciennes pratiques de prévention. Les policiers se serviront des données pour cibler les individus les plus à risque et leur procurer des soins et des services sociaux avant qu'une intervention policière ne devienne nécessaire.

« La police ne se contente pas d'"attraper les bandits". Les problèmes auxquels elle est confrontée ont souvent un caractère social autant que criminel et peuvent être étouffés dans l'œuf », explique Stephen Wormith, professeur de l'université de la Saskatchewan, responsable du SPPAL et directeur du centre d'études en justice et en sciences judiciaires du comportement, qui participe aussi au projet Missing Persons du SPPAL.

Les yeux tournés vers l'avenir, Wormith croit que seules l'imagination et la créativité des membres de l'équipe limitent le choix des projets qu'ils peuvent entreprendre – et cette perspective l'enchante.

« On ne sait pas au juste ce qu'on va trouver. Peut-être rien qu'une confirmation de ce que nous savons déjà, par expérience ou intuition, résume le chef adjoint Bent. Mais nous sommes tous très optimistes. Qui sait? Peut-être ferons-nous une découverte révolutionnaire! »

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