Vol. 78, Nº 1Reportages

Policies courent dans les rues d'Ottawa.

Gazouiller pendant un attentat

L'aide à tirer des messages du public en situation d'urgence

Grâce à des mots-clics précis et à des outils de géolocalisation, les analystes ont pu brosser en gros ce qui se passait au centre-ville d'Ottawa le 22 octobre 2014, pendant l'attentat. Crédit : Reuters/Chris Wattie

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En entendant parler de la fusillade, comme tant d'autres membres de la GRC qui se trouvaient à Ottawa ce jour fatidique du 22 octobre 2014, la cap. Wendy Stewart se voyait foncer sur la Colline du Parlement. Pour protéger ses collègues, ses amis et sa ville.

Elle a plutôt choisi de rentrer au travail.

Ce matin-là avait commencé normalement dans la capitale. Au Monument commémoratif de guerre du Canada, trois sentinelles de la Garde de cérémonie montaient la garde — parmi eux, le cpl Nathan Cirillo, âgé de 24 ans.

Le calme ambiant a chaviré sous une pluie de balles. Michael Zehaf-Bibeau, reprochant au Canada son action militaire en Afghanistan et en Irak, s'est approché du cpl Cirillo et l'a atteint de deux balles dans le dos.

L'homme de 32 ans a ensuite gagné la Colline du Parlement et est entré dans l'Édifice du Centre, où il a échangé des coups de feu avec des membres de la GRC et de l'ancien Service de protection de la Chambre des communes (aujourd'hui Service de protection parlementaire et avec le sergent d'armes du Parlement. Au bout de quelques minutes, il était mort, ce qui mettait un terme à l'attentat le plus violent qu'ait connu le Parlement en 50 ans.

Du début à la fin, l'attentat a duré moins de dix minutes.

La cap. Stewart devait filtrer les nombreuses informations qui inondaient les médias sociaux — ce que la police appelle les « sources ouvertes », de Twitter à Instagram, — à la recherche de tout ce qui serait utile.

« Dès que nous avons eu vent de la fusillade, nous nous sommes branchés sur les médias sociaux, se rappelle la cap. Stewart. Nous voulions savoir si on en parlait en ligne. Tout de suite, nous avons trouvé. Bien avant qu'on en parle aux nouvelles, on en parlait sur Twitter. »

Trouver des indices

La cap. Stewart et la cap. Judy Montreuil, du Groupe des renseignements relatifs à la protection (GRP) de la GRC, ont passé des heures à scruter des données, à voir la terreur sur les visages des gens au centre-ville, à regarder les vidéos instables faites avec un cellulaire, à passer une à une les photos saisissantes croquées au Cénotaphe.

Grâce à des mots-clics précis et à des outils de géolocalisation, les analystes ont pu brosser en gros ce qui se passait en ville. De tout ce qui circulait sur Internet, elles ont su ressortir une poignée d'indices importants, des données précieuses pour les membres qui devaient sécuriser le centre-ville.

« Nous avons trouvé des photos du suspect avant que nos membres sur place n'en aient même une description, explique la cap. Stewart. Notre photo a levé la confusion et confirmé l'apparence de notre suspect. Nous avons aussi trouvé des photos de son véhicule sur les médias sociaux et en avons fourni la description aux membres sur place. »

Pendant ce temps, au centre de commandement de la région de la capitale nationale, où des haut gradés et des analystes coordonnaient l'intervention, le serg. Gilbert Sabourin, le chef de la cap. Stewart, relayait l'information du GRP. Avec la cap. Dawn Robitaille, il a dégagé le sens d'informations parfois contradictoires pour informer adéquatement ceux qui en avaient besoin.

« C'est inouï, tout ce qu'on trouvait dans les médias sociaux et à quelle vitesse ça se répandait, considère le serg. Sabourin. Ce qui nous a le plus occupé ce jour-là était la corroboration de l'information — il y en avait tellement, c'était difficile d'en faire le tri. Des gens parlaient de plusieurs tireurs et il nous a fallu du temps pour établir qu'il n'y en avait qu'un seul. »

La part de vérité

Pour la cap. Stewart et le serg. Sabourin, le plus crucial dans la surveillance des médias sociaux, en tout temps, est de départager le vrai du faux.

Le 22 octobre, il était difficile de faire parvenir la bonne information aux civils et aux policiers dans Ottawa, surtout qu'une foule de faux signalements se sont répandus par peur – à commencer par ce gazouillis paniqué au sujet d'hommes armés au Centre Rideau, qui n'a été que le premier d'une série de fausses alertes.

« Nous avons relevé l'histoire du Centre Rideau, raconte la cap. Stewart. Gilbert a communiqué avec la police d'Ottawa qui a pu réfuter l'information, en y dépêchant carrément des policiers pour vérifier sur place. »

Les médias sociaux reflétaient l'état d'esprit de ceux pris au cœur de la tourmente, un amalgame de peur, d'incertitude et de confusion. Une photo montrait un groupe d'hommes masqués et armés, qui semblaient attaquer le Parlement; c'était en fait des agents de la police d'Ottawa qui venaient le défendre, et non l'attaquer. Dans une autre photo, on voyait un homme portant un foulard et une carabine — les analystes ont rapidement compris que c'était le suspect.

D'avoir pu jeter un peu de lumière sur tout ce brouhaha a permis d'orienter la façon dont les choses devaient se dérouler.

« Nous savions ce qui se passait sur place, précise le serg. Sabourin. Il faut tout vérifier, sinon la nuée d'information devient cauchemardesque. Qui sait ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. C'est le chaos dans les médias sociaux. »

Seule la corroboration permet de conclure que l'information qui circule dans les médias sociaux est authentique. Ce que disent les policiers sur place est plus fiable, mais fragmentaire. Il faut combiner les deux sources d'information pour offrir aux membres un tableau plus complet et plus juste de ce qui se passe vraiment.

S'adresser à la population

Brigitte Mineault, qui dirige les Communications à la Division nationale de la GRC, à Ottawa, était aussi au centre de commandement ce jour-là. Elle devait coordonner l'activité de la GRC sur ses propres comptes des médias sociaux — elle a choisi d'informer la population par Twitter.

Une minute à peine après que le tireur est entré au Parlement, la GRC avertissait déjà la population de ne pas se tenir sur les toits ni près des fenêtres.

« En situation de crise, c'est ce qu'il faut faire, explique Mme Mineault. Twitter est un outil puissant. Oubliez les courriels aux médias locaux, oubliez Facebook — c'est par Twitter, uniquement, que nous avons communiqué avec le public. »

Les médias sociaux ont été utiles à plusieurs égards. Ils ont aidé la GRC à informer la population et à la garder en sécurité pendant la crise, puis plus tard, à demander aux témoins de se manifester. Ils ont offert un moyen de communication vital aux gens des médias confinés à l'intérieur de l'Édifice du Cendre pendant l'attentat.

« Les médias ont retransmis beaucoup de gazouillis, rappelle Mme Mineault. Les gens pris à l'intérieur faisaient régulièrement le point, malgré leur confinement. »

Si quelques journalistes dans l'Édifice du Centre ont pris des risques pour capter ce qui se passait à l'intérieur, les médias ont surtout aidé à garder le public en sécurité à l'extérieur du périmètre bouclé du centre-ville et autour du Parlement. Ils ont partagé les bilans de la GRC, respecté les contraintes de sécurité et contribué à préserver le calme dans la population en évitant de faire écho aux rumeurs les plus folles qui pullulaient dans les médias sociaux.

« Quel que soit l'événement, il est toujours utile de compter sur l'aide du public. Nous avons besoin que les témoins nous parlent, insiste la cap. Stewart. Dites ce que vous savez, mais ne mettez personne en danger, ni vous, ni la police, juste pour prendre le cliché qu'on s'arrachera. Et si vous ne savez rien, n'inventez rien. »

L'avenir

Internet ne fera que prendre de plus en plus de place dans la vie des gens qui l'utilisent et dans le travail des policiers qui le surveillent. Déjà, pour un événement donné, l'information qu'y déverse le public dépasse ce que peuvent traiter une ou deux personnes.

« Tout va vite. J'ai suivi une formation l'an dernier en avril, puis une autre en juillet et déjà, tout était différent, révèle

la cap. Stewart. Les médias sociaux changent tout le temps. En fait, les gens vivent différemment d'un jour à l'autre. Je ne peux que les inviter à être honnêtes. Si vous voyez vraiment quelque chose, dites-le-nous. »

Le serg. Sabourin n'ose pas prédire l'avenir. Tout ce qu'il sait, c'est que quel que soit l'événement – une manifestation, une célébration ou une crise – la surveillance des messages du public sur les médias sociaux demeurera un élément essentiel de la vigilance opérationnelle.

Il faut compter sur la corroboration, sur l'intuition et sur l'analyse continue pour garder le dessus sur l'information en bouillonnement. On ne saurait prédire dans quelle direction partiront les médias sociaux — tout ce qu'on peut faire, c'est de les garder à l'œil.

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