Vol. 78, Nº 2Reportages

Dessin d'enfant.

Jeunes victimes

Comment recueillir la parole de l'enfant

Plusieurs techniques, dont le dessin, peuvent aider l'enfant à parler d'un sujet difficile et à rester concentré pendant l'entretien.

Par

Se retrouver face à un enfant victime ou témoin d'un acte criminel est l'une des tâches les plus difficiles pour un policier.

Malheureusement, les enfants sont trop souvent témoins ou victimes de violence dans les relations; et dans les cas d'exploitation sexuelle des enfants, ils sont souvent les seuls, avec le délinquant, à pouvoir fournir de l'information.

Tous les policiers peuvent donc se trouver à devoir interroger un enfant au cours de leur carrière. Dans certaines régions, ils sont même tenus de le faire lorsqu'ils enquêtent sur un cas de violence dans les relations. Or, bon nombre d'entre eux sont particulièrement réticents à cette idée.

Dans le passé, la tâche était d'ailleurs considérée impossible, inutile et inefficace. On jugeait l'enfant inapte à fournir de l'information fiable ou exacte. Cependant, les choses commencent à changer depuis quelques années dans la communauté scientifique et le milieu de la justice pénale. On sait maintenant que dans de bonnes conditions, les enfants peuvent fournir de précieux renseignements.

Bien sûr, quelques précautions sont nécessaires. L'enquêteur a une grande responsabilité à cet égard puisqu'il est le seul à déterminer la probabilité que l'enfant fasse des révélations. Certaines techniques inadaptées, comme les renforcements (punitions et récompenses), l'influence sociale (dire à l'enfant ce que les autres ont dit), les questions suggestives ou orientées (introduire de l'information que l'enfant n'a pas communiquée) et les questions sur des situations dont l'enfant n'a pas une expérience directe (questions hypothétiques), peuvent avoir de lourdes conséquences.

Approches préconisées

L'époque où l'enquêteur devait s'en « tenir aux faits » et au mode questions-réponses avec les enfants est révolue. Plusieurs techniques structurées ont été mises au point, comme la méthode dite « par étapes progressives » et le protocole du NICHD, afin de faciliter l'audition des mineurs; et nombre de corps policiers forment aujourd'hui leurs membres à leur utilisation.

Tous ces outils ont les mêmes buts : épargner l'enfant, obtenir le maximum d'information et éviter les pièges habituels.

Le protocole NICHD débute par une introduction, une discussion sur la vérité et le mensonge et l'établissement de règles de base pour l'entrevue. Puis, l'enquêteur établit une relation avec l'enfant et lui demande de décrire un événement neutre. Il passe ensuite aux questions portant précisément sur l'abus et demande à l'enfant de lui dire pourquoi on l'interroge.

La méthode dite « par étapes progressives » est similaire et repose sur un certain nombre d'étapes souples et fluides :

  • la préparation
  • l'introduction
  • la mise en relation
  • la présentation du sujet de l'entrevue
  • l'étape du récit libre
  • l'étape des questions visant à compléter le récit de l'enfant
  • la fin de l'entrevue

Préparation à l'entretien

Se préparer avant l'entrevue de l'enfant est capital. Même si on est souvent incité à procéder rapidement, il est utile de glaner le maximum d'information sur l'incident et l'enfant avant le début de l'entrevue. Parler aux parents, aux proches et aux enseignants (lorsque c'est possible) permet de découvrir ce que l'enfant aime et n'aime pas, son temps d'attention et d'autres renseignements qui pourront servir durant l'entretien.

Le moment et le lieu où l'entrevue se déroulera ne sont pas à négliger non plus. Il faut toujours tenter de déterminer le moment où l'enfant est le plus à même ou disposé à parler et trouver un endroit privé où il sera le plus à l'aise pour le faire (éviter l'endroit où l'incident s'est produit). Pour autant que l'entrevue soit enregistrée sur vidéo, cela peut se faire par exemple au détachement, aux services à l'enfance et à la famille, au centre d'appui aux enfants ou même à l'école. La pièce doit être autant que possible sans distraction.

À partir de quel âge peut-on auditionner un mineur? Les enfants de moins de deux ans sont trop jeunes, car ils n'ont pas développé suffisamment d'habiletés cognitives et verbales. Ceux de plus de deux ans doivent être évalués au cas par cas.

Il faut ensuite déterminer qui sera présent durant l'entretien. La meilleure approche consiste sans doute à limiter au minimum le nombre de personnes, bien que parfois, la présence d'un soutien pour l'enfant (parent, p. ex.) et d'autres professionnels (travailleur social, p. ex.) soit nécessaire.

Début de l'entretien

On s'efforcera de mettre l'enfant à l'aise, d'utiliser un langage adapté à son âge et de le rassurer en lui disant qu'il n'a rien à craindre; on peut utiliser pour cela le principe de la pièce sûre où l'enfant peut parler de tout ce qu'il veut sans craindre de s'attirer des ennuis.

Puis, on doit s'employer à établir une relation de confiance. L'enquêteur peut commencer par apprendre à connaître l'enfant en lui parlant de l'école, de sport ou de ses passe-temps. Le sujet de discussion importe peu dans le fond puisqu'il s'agit avant tout d'inciter l'enfant à donner des réponses détaillées appelées descriptions narratives. Cela le prépare à fournir plus de détails aux questions ouvertes qui lui seront posées plus tard. L'enquêteur peut également commencer à évaluer l'aisance de l'enfant, ses habiletés verbales et son rappel de mémoire. La discussion sur le mensonge et la vérité peut avoir lieu à cette étape.

Puis, on entre doucement dans le vif du sujet. C'est probablement l'aspect le plus difficile, car l'enquêteur veut se concentrer sur l'incident ou le problème sans vraiment évoquer celui-ci ouvertement. Ainsi, si l'incident s'est produit un jour particulier, on demandera plutôt à l'enfant de parler de ce qu'il a fait cette journée-là, à partir du moment où il s'est réveillé, dans l'espoir qu'il se mette – de lui-même – à parler de l'incident.

Le récit libre survient lorsque l'enfant est invité à raconter l'événement ou la situation dans ses propres mots, à son rythme et sans être interrompu. Idéalement, cela l'encouragera à en dire plus tout en réduisant sa suggestibilité. On utilisera pour cela des questions ouvertes afin d'obtenir le maximum d'information sans l'orienter. Exemple : « Tu as parlé de X, dis-moi tout sur X. »

Techniques d'interaction avec les enfants

À mesure que l'entrevue progresse, diffé-rentes stratégies ou techniques peuvent être utilisées pour obtenir de l'information et favoriser la discussion :

  • Les schémas anatomiques sont particulièrement utiles dans les cas d'abus sexuels. Il faut toutefois faire attention à ne pas surreprésenter les organes génitaux.
  • Les dessins. L'enquêteur devrait alors dessiner ce que l'enfant décrit afin de mobiliser son attention.
  • Les thèmes, c'est-à-dire une série de questions axées sur un aspect. Cette technique est très utile lorsqu'on ne parvient pas à amener l'enfant sur le sujet. Le thème de la discipline serait un exemple. « Parle-moi des règles à la maison... Tu dis qu'une des règles était "X"; que se passe-t-il quand tu désobéis à "X"? » Avec un peu de chance, à mesure que l'entrevue progressera, l'enfant pourra entrer dans le vif du sujet. Il s'agira alors de comprendre et d'éclaircir la situation.
  • Les six questions de base (qui, quoi, quand, où, pourquoi et comment). On peut ensuite passer à ce type de questions. Mais il faut éviter celles qui orientent la réponse de l'enfant, comme « La voiture était-elle noire ou rouge? ».

Il faut faire attention au temps qui passe. Quiconque côtoie des enfants sait que leur temps d'attention est limité. Il faut constamment évaluer comment l'enfant se sent et déterminer combien de temps l'entrevue devrait se poursuivre.

Est-il préférable de le rencontrer à plusieurs reprises? Oui, à condition de le faire de manière attentive et ciblée. Dans la mesure du possible, les entrevues secondaires devraient porter sur un point particulier ou avoir un objectif précis. De fait, ce pourrait être le seul moyen de gagner sa confiance et d'entrer en relation avec lui.

Je me souviens d'une fillette de six ans que je devais interroger et à qui on avait appris à ne pas parler aux représentants de l'autorité. Je l'ai rencontrée trois fois juste pour établir un lien et en savoir un peu plus sur sa vie. Ce n'est qu'à la 4e rencontre qu'elle a commencé à s'ouvrir et à parler du problème.

L'audition des enfants peut être une tâche difficile et imprévisible. Il faut être patient et souple. Comme pour toute autre compétence, l'aisance et l'habileté viennent avec la pratique. L'idée que l'enfant n'a pas droit à la parole a fait long feu. Il peut être un témoin fiable et avoir beaucoup de choses à dire.

Date de modification :