Vol. 76, Nº 4Reportages

#Moncton

Miser sur les médias sociaux pour joindre la population en situation de crise

Pendant la fusillade à Moncton et au cours des jours qui ont précédé et suivi les funérailles, la GRC au NB a entretenu la communication avec la population, diffusant continuellement de l'information sur les médias sociaux et suivant les échanges en ligne Crédit : Times & Transcript de Moncton

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Le 4 juin 2014, à 19 h 20 à Moncton (N.-B.), le Détachement régional de Codiac de la GRC a reçu un appel au sujet d'un homme armé, en attirail de camouflage, déambulant dans un quartier résidentiel. C'était le début d'une crise qui a entraîné un confinement de 30 heures pendant que la police cherchait l'homme qui avait tué trois agents de la GRC et en avait blessé deux autres.

Immédiatement, le public s'est tourné vers les médias sociaux Twitter et Facebook. Certains décrivaient la course des véhicules de police dans leur rue, d'autres publiaient la photo d'un suspect encore inconnu en habit de camouflage armé de deux carabines, et une femme a diffusé une vidéo de la fusillade filmée de l'intérieur de sa maison.

C'est par un média social que le conseiller en stratégie de communication de la GRC Alex Vass a d'abord entendu parler de la fusillade.

Communications ciblées

M. Vass a appelé au bureau et, après avoir déposé sa fille chez des amis, il est rentré au Détachement de Codiac peu avant 21 heures.

Déjà, les médias sociaux s'emballaient et des rumeurs circulaient. M. Vass et l'équipe des Communications ont vite compris que la GRC devait informer la population de la situation.

« Nous avions une idée de ce à quoi nous avions affaire, mais tout ce que nous avions en tête à ce moment-là, c'est qu'il y avait un tireur en liberté dans un secteur résidentiel et qu'il fallait surtout que les gens restent à l'intérieur et évitent le secteur », se souvient M. Vass.

Les médias traditionnels ne constituaient pas la meilleure option pour diffuser la nouvelle. À la télévision locale, on était entre deux bulletins de nouvelles, la radio locale n'était pas en direct et le journal local exigeait un péage, tout le monde n'avait donc pas accès à sa version numérique.

« Les médias sociaux se sont imposés d'eux-mêmes, soutient M. Vass. Ils nous permettaient de rejoindre les citoyens directement. »

Ces outils ont permis à l'équipe des Communications non seulement de diffuser facilement et rapidement son message, mais de le contrôler aussi.

Apaiser la tension

Avec les yeux du monde braqués sur Moncton, il importait de diffuser rapidement des messages justes qui disaient quelque chose.

L'équipe a formulé ses messages pour inciter les gens à agir, leur demandant, par exemple, de rester à l'intérieur et d'allumer les lumières extérieures.

Le premier gazouillis a été diffusé environ deux heures après le premier appel. Il a été suivi d'un nouveau message aux demi-heures à peu près, pendant les 12 heures suivantes.

« Toute la nuit, nous avions des choses à communiquer, explique Paul Greene, directeur des Communications de la GRC au Nouveau-Brunswick. Nous voulions, par exemple, diffuser une carte du secteur visé par le confinement. À ceux qui restaient dans ce secteur, il fallait dire de rester à l'intérieur et de ne pas ouvrir la porte. »

Chaque gazouillis et message Facebook était nouveau — même quand les renseignements ne l'étaient pas. L'idée de diffuser des messages nouveaux était de rassurer les gens terrés dans leur sous-sol, ce qui était le cas de beaucoup de familles. La GRC était là, avec eux.

« Ça semblait rassurer la population, a observé M. Greene. Ça a aussi mis fin aux rumeurs dans les médias sociaux. Les gens consultaient notre site. À ceux qui disaient autre chose, nos lecteurs répondaient "Minute, ce n'est pas ce que dit la GRC". Et ils envoyaient notre lien. Nous étions LA source d'information crédible. »

Décisions délicates

Dans les heures qui ont suivi la fusillade, tous les messages diffusés faisaient l'objet d'une coordination entre l'équipe des Communications, soit M. Vass et l'agent des Relations avec les médias, le gend. Damien Thériault sur place à Moncton et M. Greene au quartier général à Fredericton, et l'insp. Dave Vautour.

L'insp. Vautour a agi comme commandant des interventions dans les premières heures et c'est donc lui qui devait déléguer et prendre des décisions. À intervalles, M. Vass lui demandait ce qu'il fallait diffuser.

Lancement d'un nouvel outil de téléversement de vidéos pour les enquêteurs

Pour la première fois à la GRC, les enquêteurs sur les fusillades du 4 juin à Moncton ont utilisé un outil en ligne permettant aux citoyens de téléverser anonymement des images et des vidéos liés à l'affaire dans un site Web protégé de la GRC.

Au moment de sonder le voisinage pour obtenir des vidéos et des images, les enquêteurs se sont rapidement rendu compte que les gens hésitaient à remettre leur téléphone mobile et leur ordinateur portatif à la police. Ils croyaient devoir renoncer à leur dispositif pour une période prolongée et certains craignaient pour l'intégrité de leurs renseignements personnels.

« Nous avons pensé qu'avec un tel outil, le public serait moins réticent à communiquer des images en ligne, explique le serg. Mark Janes, chef de l'équipe des enquêteurs. Nous estimions ne pas obtenir toutes les informations et que nous pourrions en recueillir davantage avec un instrument de ce genre. »

L'équipe a transmis une demande d'assistance technique, et le groupe des nouveaux médias des Services nationaux de communication de la GRC, le dirigeant principal de l'Information et Services partagés Canada ont collaboré en vue de concevoir un outil de téléversement de vidéos, une application Web connectée à un serveur exclusif aux fins de saisie de données. Il a fallu un peu moins d'une semaine pour lancer l'outil auprès du public.

L'équipe des communications au Nouveau-Brunswick a ensuite fait l'annonce de l'outil dans les médias sociaux et par l'intermédiaire d'un communiqué.

Bien qu'il ait été mis à la disposition du public, cet outil ne devrait être invoqué que pour les enquêtes spéciales, explique le serg. Janes. « Une fois que nous nous sommes engagés, nous devons avoir les capacités de traiter le volume d'informations qui seront transmises. »

Toutes les données saisies par la GRC doivent être observées, organisées, consultables et indexées. Dans le cas des fusillades de Moncton, on a reçu plus de 26 500 vidéos et images recueillies par tous les modes. Il a fallu plus de quatre mois à une équipe multimédia pour dépouiller toutes les données recueillies.

— Deidre Seiden

« Ça dépassait l'imagination. On a été inondé d'appels, de messages texte, de gens qui débarquaient, qui se présentaient, ça venait de partout », se rappelle l'insp. Vautour.

Au fil des heures, l'équipe a dû prendre des décisions délicates sur l'information à rendre publique. Les deux décisions les plus difficiles qu'a dues prendre l'insp. Vautour ont été d'identifier le tireur ou pas, et de confirmer ou non le nombre de membres tués et blessés.

L'insp. Vautour a compté sur M. Vass et sur l'expertise de l'équipe. En fin de compte, on a décidé de rendre publics ces deux éléments d'information.

« J'étais conscient de prendre un risque, mais je savais que c'était ce qu'il fallait faire, déclare l'insp. Vautour. Divulguer l'information m'exposait à des poursuites, mais ne pas le faire exposait la population, alors, à choisir entre les deux, j'ai préféré assurer la protection de la population. C'est de cette façon que j'en suis venu à prendre ma décision. »

Les décisions sur ce qu'on allait diffuser n'ont pas toutes été difficiles. On a misé sur la sécurité du public et des policiers. Quand la GRC a vu sur les médias sociaux que des gens signalaient les déplacements des policiers, elle leur a demandé de ne pas le faire, en expliquant qu'ils les exposaient à des dangers. On ne savait pas si le suspect suivait les médias sociaux.

Quand un citoyen a demandé à la GRC sur Facebook s'il serait utile d'allumer les lumières extérieures, le gend. Thériault a jugé que cela favoriserait l'opération, et cette demande a été répétée régulièrement dans ses messages – et le public et les médias l'ont relayée.

Source d'information crédible

Le détachement recevait des centaines d'appels de médias de partout dans le monde. Le temps d'écouter le message d'un journaliste, dix autres avaient été enregistrés. Les médias ont relayé les messages que la GRC diffusait sur les médias sociaux, reproduisant dans leurs sites Web et dans leurs reportages des saisies d'écran des gazouillis de la GRC.

« Nous étions une toute petite équipe au cœur d'une crise, rappelle M. Greene. C'était la meilleure façon de faire connaître l'information. »

À peine quelques entrevues ont été données pendant la crise, et elles ont été choisies stratégiquement pour rejoindre les résidents de Moncton afin de les informer de la situation.

Les gens comptaient sur la GRC pour diffuser l'information, refusant de croire ce qu'ils entendaient ailleurs tant que la GRC ne l'aurait pas confirmé.

« Quand enfin le tireur a été arrêté et que la nouvelle s'est répandue dans les médias sociaux, plusieurs personnes ont attendu que la GRC l'annonce officiellement pour y croire, » indique M. Vass.

Tout au long du confinement et des jours qui ont précédé et suivi les funérailles, la GRC au Nouveau-Brunswick a maintenu la communication ouverte, diffusant de l'information sur les médias sociaux et suivant les échanges en ligne. Cela lui a permis de répondre aux questions de la population et des médias.

Après les funérailles, la boîte courriel a été inondée de questions et de demandes d'entrevues concernant Danny, le chien poli-cier. Il a touché les gens quand, aux funérailles, il s'est dressé sur ses pattes arrière pour flairer le chapeau de son maître, le gend. Dave Ross.

L'équipe des Communications a donc rédigé un communiqué de presse sur ce qui attendait Danny. On lui a rendu visite et on l'a filmé en train de jouer dans un ruisseau. La vidéo a été versée sur YouTube avec un lien au communiqué de presse. La vidéo a été vue plus de 100 000 fois. On a pu diffuser ainsi l'information sans accorder d'entrevues traditionnelles.

Attirer des abonnés

L'utilisation efficace des médias sociaux n'était pas le fruit du hasard pour l'équipe. Depuis 2010, elle avait un plan en place.

« Depuis notre arrivée sur les médias sociaux, nous avons voulu nous en servir pour aider à prévenir et à résoudre des crimes, reconnaît M. Greene. Tel a toujours été notre but. En fait, c'est l'objectif ultime de nos communications. »

Lauri Stevens, une experte en médias sociaux spécialisée en application de la loi, juge que l'équipe des Communications a bien compris ce qu'elle devait faire.

« Le plus beau, c'est que c'était très simple, observe-t-elle. Ça n'avait rien de compliqué, ça ne demandait pas de connaissances pointues. C'était très simple et extrêmement efficace. »

Ce qui n'est pas toujours facile en milieu policier, reconnaît-elle. Assez souvent, la police pense à l'opération sans tenir compte de la dimension communication qu'elle appelle. Étant donné l'engouement du public pour les médias sociaux, l'issue de l'opération policière peut s'y jouer, dans un sens comme dans l'autre.

« À mon avis, les gens des Communications et les enquêteurs vont devoir se rapprocher et travailler main dans la main, estime Mme Stevens. C'est ce qu'on a vu pendant cette dizaine de jours. L'équipe des Communications savait ce que les policiers faisaient sur le terrain, et, ensemble, ils ont collaboré pour accroître la sécurité des gens sur place. »

Avant l'incident, les comptes Twitter et Facebook de la GRC au Nouveau-Brunswick avaient 8 000 et 10 000 abonnés respectivement.

« D'année en année, nous gagnions des abonnés, indique M. Greene. La progression était soutenue et nous savions que si un jour nous devions nous en servir, nous devrions pouvoir mobiliser ce public rapidement, immédiatement. C'est ce qui s'est produit le 4 juin. »

Au lendemain de la fusillade, le nombre d'abonnés au compte Twitter atteignait 56 000 et au compte Facebook, 28 000.

Steve Ladurantaye, chef des Partenariats gouvernementaux chez Twitter Canada, avait le compte à l'œil. Selon lui, les gens suivaient le compte GRC N.-B. parce que c'était leur principale source d'information.

« Ils savaient qu'ils auraient de la police des renseignements instantanés, non filtrés. Ils avaient confiance que c'est ce que la police leur fournirait, croit M. Ladurantaye. Beaucoup de gazouillis ont été relayés, signe que les gens disséminaient l'information pour que les abonnés de leurs propres réseaux sachent ce qui se passait autour d'eux.»

L'exercice a pris une tournure plus proactive, selon M. Ladurantaye, quand les gens ont voulu aider la police autant qu'ils le pouvaient et qu'ils en suivaient les instructions.

Sécurité avant tout

Sachant que trois des leurs étaient morts, que deux avaient été blessés et que le tireur était toujours au large, les policiers auraient pu se laisser submerger par les émotions. Mais ce n'est pas ce qui s'est produit.

« On met ça de côté, on se rappelle que notre travail est d'assurer la sécurité de la population et de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'autres blessés, explique M. Greene. Même aux Communications, nous savions que nous devions contribuer à ce mandat. Je crois que nous l'avons fait efficacement. »

L'équipe des Communications a été récompensée à l'international par des pairs du milieu policier et des communications, méritant le prix ConnectedCops pour la gestion d'un événement sur les médias sociaux. L'équipe a fait ce qu'elle avait à faire dans des circonstances tragiques – selon M. Vass, ce mandat ne leur a jamais échappé.

« Nous avons utilisé les médias sociaux pour informer la population, pour qu'elle sache ce qui se passait, et cela nous a valu la reconnaissance de nos pairs. C'est pour moi la confirmation que nous avons fait les bonnes choses, au bon moment, pour les bonnes raisons », conclut M. Vass.

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