Vol. 78, Nº 2Débat de spécialistes

Policier interrogeant une femme.

Quelle mesure privilégier lorsqu’on intervient dans un cas de violence familiale?

Les experts

  • Agente Joan Harty, coordonnatrice en violence familiale et conjugale, Service de police de Fredericton (N.-B.)
  • Gend. Kathleen Fossen, coordonnatrice en violence familiale, Détachement de Spruce Grove-Stony Plain, GRC (Alberta)
  • Nneka MacGregor, directrice générale de WomenatthecentrE et survivante de violence familiale, Toronto

Agente Joan Harty

En juin 2014, le Service de police de Fre-dericton a établi le poste de coordonnateur en violence familiale et conjugale (VFC), le premier du genre au N.-B., dans le but de rompre le cycle de ce type de violence dans la région de Fredericton.

Au moment de donner suite à une demande d'intervention dans un tel cas, un agent du SP de Fredericton enquête sur la plainte, dépose une accusation lorsque les éléments d'une infraction sont présents, remplit le formulaire de l'Évaluation du risque de violence familiale en Ontario (ODARA) au besoin et conclut le dossier. Depuis la création du poste, le coordonnateur fait un suivi auprès de la victime lorsque celle-ci est considérée à risque. Auparavant, c'était l'agent de patrouille qui assumait le suivi.

Le coordonnateur en VFC lit tous les dossiers de violence familiale pour le SP de Fredericton et veille à ce que l'évaluation ODARA soit effectuée en recourant aux codes de VFC. Lorsque la cote ODARA atteint la catégorie à risque, le coordonnateur fait un suivi auprès de la victime et tâche de nouer une relation avec celle-ci et de voir à la mise en place d'un plan de protection. Il arrive que la cote de l'évaluation ne soit pas représentative du risque. Le coordonnateur fait alors un suivi et attribue, au besoin, une cote de danger à l'adresse du domicile en cause.

Le délinquant a aussi un rôle à jouer pour rompre le cycle de violence. Lorsque l'agresseur est détenu aux fins de procédures judiciaires en rapport avec un incident de VFC, le coordonnateur se rendra au bloc cellulaire pour tenter de lui parler et l'informer des services disponibles.

Les membres du public peuvent se présenter au SP de Fredericton pour obtenir des conseils sur les cas de VFC, pour eux mêmes ou quelqu'un d'autre. On les renvoie alors au coordonnateur en VFC. Celui-ci répond aussi quotidiennement aux appels des citoyens qui cherchent conseil pour eux-mêmes, pour des enfants ou des parents vivant dans la région de Fredericton, ou pour des enfants ou une famille de l'extérieur, ou des amis. Le coordonnateur a pour mandat de diffuser un message cohérent au public. Sur demande, il peut faire des exposés sur cette violence à un auditoire élargi de la collectivité.

Le coordonnateur et d'autres membres du SP instruisent les policiers, les cadets de l'Atlantic Police Academy et les membres bénévoles de la police sur les cas de violence familiale et conjugale et sur l'Évaluation ODARA, de façon à uniformiser les interventions et les enquêtes.

Les partenariats communautaires sont importants pour réduire les incidents de violence. Le coordonnateur a noué des liens avec plusieurs organismes gouvernementaux et non gouvernementaux à Fredericton. Sa participation aux comités et conseils directement axés sur la violence familiale lui permet de cerner les divers besoins de la collectivité et les services que celle-ci offre aux victimes et aux agresseurs.

Les risques posés par les cas de violence familiale et conjugale peuvent être élevés. Le coordonnateur rencontre aux deux semaines des représentants du ministère du Déve-loppement social du N.-B. pour discuter des cas à risque à Fredericton. Les travailleurs sociaux tiennent des conférences de cas pour les victimes à risque auxquelles sont invités le coordonnateur, d'autres organismes communautaires et des membres de la famille pour protéger la victime. Une conférence de cas aura aussi lieu pour l'agresseur s'il est disposé à y assister.

Le poste de coordonnateur en VFC peut-il mettre fin à la violence familiale et conjugale? C'est l'objectif visé. Grâce aux partenariats et à la sensibilisation, il peut contribuer à changer les choses pour le mieux concernant ce problème de société.

Gend. Kathleen Fossen

Les enquêtes en matière de violence familiale constituent les dossiers les plus complexes et à risque de la police. La leçon qui apparaît à tous les services et organismes de soutien dans les dernières années est qu'il faut unir nos forces. Les partenariats sont essentiels pour mener à bien l'enquête, l'intervention et, en fin de compte, la prévention en la matière.

C'est dans cet esprit que le Détachement de Spruce Grove-Stony Plain, de concert avec un groupe local, le Parkland and Area Response to Family Violence Committee, a créé une équipe de soutien en matière de violence familiale, la Domestic Violence Support Team (DVST). Il s'agit d'un groupe interorganismes chargé de favoriser la protection contre la violence par la sensibilisation, la reddition de comptes et le soutien aux personnes et aux familles touchées.

L'équipe est formée d'un membre de la GRC spécialisé dans les dossiers de violence familiale, d'un chargé de dossier d'instance, d'un représentant de la Victim Services Society, d'un agent de probation spécialisé dans ces cas et d'un intervenant en services d'aide sociale à l'enfance. Ceux-ci ont les connaissances, la formation et les compétences voulues et sont en mesure d'offrir un cadre de soutien aux victimes empreint d'empathie et de compassion et exempt de jugement.

L'équipe veille à ce que la famille reçoive le soutien nécessaire pour préserver sa sécurité et mettre un terme à la violence. Elle prend contact avec le client pour évaluer ses besoins, l'aiguiller, procéder à une évaluation des risques, élaborer un plan de protection suivi et organiser des consultations au besoin. Ainsi, la victime, l'agresseur et leurs enfants peuvent obtenir le soutien communautaire voulu et communiquer avec les intervenants appropriés.

L'équipe s'est révélée particulièrement efficace au sein de l'appareil judiciaire. De nombreuses victimes, une fois la situation de crise résorbée et l'affaire portée devant les tribunaux, n'ont pas l'assurance voulue pour offrir un témoignage qui permettrait une condamnation. Par conséquent, de nombreuses accusations sont retirées, ce qui se solde par aucune reconnaissance de res-ponsabilité ou possibilité de réhabilitation du contrevenant. Celui-ci réintègre son foyer et le cycle reprend de nouveau.

L'équipe reste en contact avec la victime tout au long de l'instance et assure la communication entre celle-ci et les procureurs de la Couronne, de façon à maintenir la participation de la victime et permettre au contrevenant de reconnaître sa responsabilité et d'obtenir le traitement approprié pour prévenir toute récidive.

J'estime qu'on peut prévenir la violence familiale et qu'une collaboration véritable, la mise en commun de ressources et la création de partenariats sont des éléments clés pour y parvenir.

Nneka MacGregor

En 2014, WomenatthecentrE a entrepris une étude auprès de survivantes ayant été victimes d'une tentative d'étranglement par un partenaire. L'initiative découle de conversations entre plusieurs membres de notre organisation sur leur expérience de la violence. Si ces femmes reconnaissent la gravité des agressions, nombre d'entre elles ne savaient pas qu'un étranglement peut avoir des séquelles à court et à long terme sur leur santé.

Le résumé de l'étude précise certaines des constatations relatives notamment à l'interaction entre les participantes et la police. Nous savons que la plupart des occurrences de violence conjugale ne sont pas signalées à la police; nos chiffres reflètent la moyenne nationale : une femme agressée sur trois appelle la police.

Naturellement, nous souhaitons que plus de femmes communiquent avec la police, surtout lorsque la violence dont elles ont fait l'objet va jusqu'à l'étranglement. Cela dit, nous sommes conscients des obstacles auxquels elles doivent faire face, y compris la crainte de représailles ou d'une intensification de la violence, si le contrevenant n'a pas à répondre de ses actes.

Dans le cadre de la surveillance des tribunaux, nous avons récemment observé dans trois cours spécialisées en violence familiale à Toronto que peu importe la gravité de l'agression, le contrevenant parvient à s'en tirer avec l'engagement de ne pas troubler l'ordre public ou une libération conditionnelle, ce qui laisse entendre à la victime que l'appareil de justice pénale ne prend pas sa sécurité au sérieux.

Les femmes signalent que ce message vient souvent de l'agent qui minimise la gravité de la situation ou qui en rejette le blâme sur la victime. Dans certains cas où l'agent ne pouvait déterminer l'agresseur principal, la victime a elle aussi été accusée, ce qui est préoccupant, car ce risque pour les femmes d'être arrêtées les dissuadera encore davantage de signaler la violence.

Par conséquent, en ce qui concerne la mesure que la police doit privilégier dans les interventions auprès des survivantes de violence conjugale, les femmes soulignent un point commun chez les policiers avec qui elles ont traité : la patience, l'empathie et la conscience que la violence conjugale est socialement construite, culturellement enracinée et repose sur la volonté individuelle.

Nous savons que l'agent doit demeurer impartial au moment de recevoir une déposition, mais une phrase neutre comme « personne ne devrait être victime d'un tel acte » qui s'adresse à la société en général, à ce moment précis, incite la femme à signaler l'incident, sans honte ni culpabilité éventuelles.

Aussi, l'agent devrait s'asseoir plutôt que se tenir debout devant elle, surtout au moment de poser les questions intimes et traumatisantes qui doivent être posées. Assister à une formation co-animée par une survivante d'agression est aussi essentiel.

Pour les participantes à l'étude sur les victimes d'étranglement – lesquelles, pour la plupart, ont craint de mourir ce jour-là – un agent patient et bienveillant à leur égard aurait changé bien des choses.

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