Vol. 76, Nº 4Reportages externes

Fleurs et autres hommages sur route.

À quoi tient la force de Boston?

Leçons tirées par la police suite à l'attentat du marathon

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À 2 h 49, lors de la fête des Patriotes à Boston, le 15 avril 2013, des centaines de coureurs étaient sur le point de terminer le marathon en environ quatre heures et des milliers d'autres encore dans la course prévoyaient achever le parcours au cours des deux prochaines heures.

Les coureurs d'élite – qui avaient amorcé le marathon plus tôt à un rythme plus rapide – avaient quitté le secteur du fil d'arrivée depuis près de trois heures déjà. Les vainqueurs avaient déjà été couronnés, et de nombreux fonctionnaires et personnes de marque s'étaient aussi éloignés de l'arrivée.

Le marathon est une vaste célébration populaire attirant plus de 20 000 coureurs et des dizaines de milliers de spectateurs le long du parcours de 42,2 kilomètres (26 milles) de Hopkinton – localité rurale en périphérie de Boston – jusqu'au fil d'arrivée près du centre-ville. S'il restait encore de nombreux spectateurs attendant les concurrents toujours dans la course, la foule avait commencé à se disperser et il y avait peu de gens encore dans les gradins bordant un côté de la rue juste avant l'arrivée.

Nombre des responsables des organisations liées au monde de la course ou chargées d'assurer la protection de l'événement avaient quitté pour s'occuper d'autres activités. Les responsables de l'événement, toutefois, étaient toujours sur les lieux ou dans les centres de commandement d'où ils pouvaient suivre le déroulement du reste de la course.

Dans la minute qui a suivi, à un intervalle de 12 secondes et de 183 verges, deux engins explosifs artisanaux de faible puissance dans des autocuiseurs remplis de clous et de billes d'acier ont détonné à quelques pas du fil d'arrivée. Trois personnes sont mortes sur le coup; plus de 260 autres, certaines grièvement blessées (certaines qui ont perdu un membre) allaient devoir être hospitalisées.

Dans les cent heures qui ont suivi, diverses difficultés se sont posées aux services de compétences diverses qui allaient déployer et coordonner leurs effectifs. Si certains aspects de l'intervention auraient pu être améliorés, la plupart des observateurs s'entendent pour dire qu'en général, les forces de l'ordre ont réagi avec efficacité. Comme on l'a dit à maintes reprises, à quoi tient la force de Boston? Quelles leçons les corps policiers d'autres territoires peuvent ils en tirer?

Une intervention coordonnée

Des situations de crise comme l'attentat du marathon nécessitent la mobilisation et la coordination d'un éventail de capacités qu'aucun organisme ne possède à lui seul.

La réponse à la question de savoir comment les forces de l'ordre ont mis en œuvre une intervention efficace tient à deux éléments : d'abord, la façon dont elles ont coordonné leurs initiatives au fil des événements; ensuite, les mesures de préparation dans les jours, les semaines, les mois et les années précédant l'événement qui leur ont permis de coordonner leur intervention au moment voulu.

  1. L'attentat à la bombe a posé au moins cinq difficultés qui ont nécessité l'intervention des forces de l'ordre dans les quatre jours qui ont suivi :
  2. La gestion des conséquences immédiates de l'attentat : assistance aux survivants, établissement d'un périmètre de sécurité autour du lieu de l'attentat afin d'en restreindre l'accès au seul personnel d'assistance médicale;
  3. Protection de l'accès aux hôpitaux où les survivants ont été emmenés ainsi qu'à d'autres infrastructures et installations essentielles pouvant être la cible d'attentats subséquents;
  4. Établissement d'un périmètre de sécurité autour des lieux, prélèvement d'éléments de preuve et enquête;
  5. Planification et prestation du soutien voulu pour une visite du Président et de la Première Dame à Boston pour organiser un service commémoratif et des visites aux hôpitaux locaux en vue de parler avec les survivants et leur famille, et les réconforter;
  6. Appréhension et mise en détention des deux suspects après qu'ils aient été trouvés à l'aide du localisateur de la voiture qu'ils avaient détournée.

Les trois premières mesures ont été prises naturellement après l'attentat. Elles reposent sur les capacités (les structures, les relations et les effectifs) mises en place par les différents organismes en vue du marathon – un événement au long délai de préparation.

Sur le plan opérationnel, l'événement a été organisé selon une structure de gestion des incidents (SGI), axée sur la formation d'un commandement unifié chargé de coordonner la planification et le déploiement d'organismes de diverses compétences.

La structure opérationnelle de temps de paix encadrant les mesures de sécurité pour la maîtrise des foules et la gestion de la circulation s'est rapidement muée en une structure de temps de guerre. La même structure de gestion, appuyée par l'arrivée rapide de cadres dirigeants, supervisait les mesures lancées sur le champ : le nettoyage du site après l'attentat, la sécurisation d'autres lieux et installations, la collecte d'éléments de preuve et la réalisation de l'enquête.

La transition à une structure de temps de guerre a été rapide et – vu la nature chaotique d'un attentat – relativement efficace. Les commandants de divers organismes d'application de la loi et de services de gestion des urgences, réunis sur place, ont spontanément senti la nécessité de former un leadership coopératif.

Ils ont notamment cherché l'endroit où établir un centre de commandement : un hôtel avoisinant. Ils ont communiqué avec leur supérieur, diffusé de l'information sur leur situation et demandé aux subalternes et à leurs chefs de se réunir au centre de commandement. Ils ont recherché les ressources clés : un local où se réunir, des vivres, des téléphones, des ordinateurs portatifs et des tables.

Ils ont ensuite organisé, exécuté et délégué les opérations, qu'il s'agisse de donner une première conférence de presse (deux heures et une minute après la première détonation) ou d'ordonner le déploiement massif de troupes de la garde nationale pour protéger le périmètre du secteur, délimité à 13 îlots.

Puis, ils ont amorcé la planification des opérations de la prochaine journée : la sécurité du réseau de transport public, le réacheminement de la circulation autour du secteur et une foule d'autres décisions et mesures opérationnelles.

Le quatrième événement – les mesures de sécurité massives nécessitées par la visite du Président, le jeudi 18 avril – a imposé un fardeau considérable sur les ressources déjà taxées de la police. La planification devait se faire à brève échéance. Comme le remarquait un haut responsable de la police, « cet événement semblait nécessaire pour la ville, mais nous nous en serions facilement passé ».

Néanmoins – grâce aux modalités de gestion des incidents découlant de la structure de gestion opérationnelle du marathon –, les ressources nécessaires ont été localisées, coordonnées et déployées avec succès.

Dans la soirée du même jour, après la diffusion de la photo des suspects déterminés par l'enquête, les événements se sont précipités pendant les prochaines 24 heures à Cambridge, à Allston et à Watertown. Parmi les événements qui ont posé des défis, l'assassinat d'un policier du MIT, la poursuite d'une voiture volée, un échange de coups de feu entre les policiers et les suspects, la mort d'un des suspects et la fuite de l'autre, une perquisition domiciliaire d'une journée dans un secteur de 20 îlots et, enfin, la capture du dernier suspect après une fusillade intense de la police.Note de bas de page 1

Problèmes liés au micro-commandement

Durant la majeure partie de la dernière journée, les policiers ont agi d'une manière très disciplinée et organisée : les officiers supérieurs assumant le commandement de leurs unités et coordonnant les opérations avec les autres unités, dans les postes de commandement et sur le terrain. Cela dit, à plusieurs moments, durant la fusillade contre les suspects le jeudi soir et lors de l'appréhension du suspect, vendredi après-midi, les services de police ont dû faire face à de graves difficultés dans l'établissement d'un micro-commandement, en particulier pour le contrôle et la coordination d'un groupe d'agents sur le terrain.

Ces problèmes ont fait surface tandis que des agents de divers services sont parvenus sur les lieux de façon autonome au beau milieu d'une intervention risquée, puis ont agi de leur propre chef plutôt que de se soumettre à un commandement et à une coordination structurée.

Dans les deux cas, un tir imparfaitement contrôlé a mis en danger des policiers et des civils. De plus, un certain nombre d'épisodes soulèvent le problème d'un commandement peu structuré, voire inexistant lorsque des policiers agissent hors de la structure de commandement de leur service.

Ces événements soulèvent un problème important de doctrine et de formation : la nécessité d'établir et de mettre en œuvre des protocoles plus rigoureux régissant les agents opérant en l'absence d'un supérieur coordonnant ses subalternes ou les unités d'autres services.

Ces lacunes étaient l'exception durant une semaine par ailleurs marquée par une gestion efficace. La coordination efficace établie dans la foulée de l'attentat a été facilitée par les nombreuses années de pratique, l'établissement de bonnes relations et la planification et la mise en œuvre conjointes d'événements majeurs dans la région de Boston.

Si une coordination existait déjà auparavant, la planification conjointe d'événements a été stimulée par la préparation de la convention démocrate de 2004, tenue à Boston. Première convention politique nationale organisée dans l'après-11 septembre, l'événement a mobilisé l'attention de partout au pays et engendré une planification mobilisant des services de police fédéraux, locaux et d'État.

Par la suite, nombre de participants ont conclu qu'on devrait en faire un protocole préalable à tout événement majeur. Des événements allant des feux d'artifice du 4 juillet au marathon de Boston, en passant par les défilés des vainqueurs de championnats nationaux ont ainsi fait l'objet d'une planification conjointe de multiples services, mise en œuvre selon un cadre de commandement unifié. Le recours répété à ces structures a favorisé, chez les intervenants, une meilleure compréhension des capacités, des intérêts, des mandats et des impératifs de chaque partenaire et contribué à l'établissement et au maintien de bonnes relations stimulant la confiance et la volonté de coopérer.

Cette infrastructure – élaborée au prix d'efforts de longue haleine – a permis aux services concernés de collaborer spontanément aux interventions subséquentes à l'attentat à la bombe du marathon.

Voici cinq recommandations à l'intention des services de police tirées de l'attentat à la bombe du marathon de Boston :

  1. Recours à la SGI dans la planification d'événements : Organisation d'événements à l'aide de la gestion des incidents, de façon à favoriser le déroulement sans heurts dans des conditions favorables – et à constituer un cadre pragmatique pour lancer rapidement une intervention efficace dans des conditions défavorables.
  2. Dans l'éventualité d'un incident, organisation d'une intervention fondée sur le SGI : Lorsqu'un incident fâcheux survient lors d'un événement, concevoir une transition rapide à l'état de guerre, en activant une structure de gestion des incidents unifiée pour élaborer et superviser l'intervention.
  3. S'il y a un organisme responsable, la structure de commandement doit néanmoins demeurer horizontale : Le principe clé est le commandement unifié et non monolithique. S'il y a un « premier parmi ses pairs », l'accent doit être placé sur les pairs. En vertu de la doctrine américaine (et du droit américain), le FBI est l'organisme responsable de l'intervention contre tout attentat terroriste. Mais sa capacité opérationnelle est trop limitée pour exécuter le vaste éventail d'interventions nécessaires. Et donner des ordres aux autres organismes (même s'il pourrait en avoir l'autorité, quoique dans de nombreux cas il n'en est rien) n'est pas la meilleure façon d'obtenir le meilleur de l'équipe. Dans le cas du marathon, le FBI a formé, avec les autres organismes, une équipe à la structure relativement horizontale et très efficace.
  4. Effectuer la planification conjointe des événements pour ériger, avec le temps, l'infrastructure de relations et de compréhension qui favorisera la coopération : La structure de gestion des incidents pour planifier et mettre en œuvre les événements favorisera les relations et la compréhension entre les intervenants, ainsi que la connaissance des atouts (et des lacunes) de chacun pour une meilleure coordination.
  5. Élaborer de meilleurs protocoles de micro-commandement : Aborder à l'avance les problèmes de micro-commandement en élaborant de meilleurs protocoles, c.-à-d. établir une structure de commandement interorganisationnel pour les effectifs de divers services réunis en temps de crise. Intégrer une formation sur ces protocoles au programme de perfectionnement des agents et renouveler cette formation pratique tout au long de leur carrière.

L'intervention lancée après l'attentat du marathon de Boston illustre avec éloquence une démarche de coordination efficace en situation de crise, mais cette aptitude ne doit pas être considérée comme garantie ni fortuite. L'efficacité des mesures déployées à Boston résulte d'un travail assidu de plusieurs années. N'importe quelle collectivité peut élaborer l'infrastructure et les capacités de produire une telle intervention, mais toutes ne l'ont pas fait. La démarche de Boston constitue un exemple d'intervention spontanée – et montre comment se préparer pour développer cette capacité.

Herman B. Leonard est professeur de gestion publique et co-directeur de faculté du programme de leadership en situation de crise.

Christine M. Cole est directrice exécutive du programme de politique et de gestion en justice pénale.

Arnold M. Howitt est directeur exécutif de l'Ash Centre for Democratic Governance et co-directeur de faculté du programme de leadership en situation de crise.

Les auteurs remercient l'International Centre for Sport Security pour son soutien aux recherches nécessaires à la rédaction de ce document.

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