Vol. 77, Nº 2Reportages

Un vaccin contre le crime

Les bienfaits à long terme de programmes pour la jeunesse

Dans le cadre du programme Difference Maker (changer les choses), des étudiants éprouvent les bienfaits psychologiques de poser un geste positif dans leur collectivité. Crédit : Jill Lambert, programme scolaire de la Fondation Rick Hansen

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Lorsqu'il était agent aux services généraux de police, le cap. Kevin Krygier, de la GRC, en a eu assez d'être le trouble-fête n'apparaissant qu'en cas de problème; il était conscient des répercussions néfastes sur les jeunes.

Il avait aussi une bonne idée des enjeux que la police et la collectivité affrontaient au quotidien – des jeunes impliqués dans la drogue, les gangs et l'intimidation.

« Ce sont des comportements antisociaux, violents et contre-productifs », explique le cap. Krygier. À titre de père et de policier, il était un témoin privilégié des difficultés vécues par les jeunes et a cherché le moyen d'établir des liens positifs avec eux.

Il a donc lancé le School Sports Program (programme de sport scolaire) : de concert avec d'autres membres de la GRC à Richmond (C.- B.), il visite les écoles de l'arrondissement pour inviter les élèves à un match de basketball. L'initiative n'a pas tardé à porter des fruits.

« Désormais, quand nous nous présentons à l'école, les jeunes nous accueillent en nous tapant dans les mains, constate lc cap. Krygier. Le rapprochement est palpable. »

Changer les choses

Mais ce n'est pas tout : le cap. Krygier, aujourd'hui responsable de la prévention criminelle à Richmond, fait équipe avec le programme scolaire de la Fondation Rick Hansen, qui encourage la responsabilité sociale et enseigne aux jeunes des leçons de courage et de détermination.

« L'agent du changement », c'est une personne ordinaire qui réalise l'extraordinaire pour venir en aide à autrui », explique Ewa Holender, de la Fondation Rick Hansen.

Ensemble, ils ont mis sur pied un projet pilote intitulé Difference Maker (changer les choses) qu'ils ont présenté dans quatre écoles à Richmond – deux à l'élémentaire et deux au secondaire. Le programme mobilise et habilite les élèves à améliorer les choses dans leur collectivité et à prévenir la criminalité chez leurs pairs. En outre, les élèves du secondaire se font mentors auprès de ceux de l'élémentaire.

Outre l'interaction directe des policiers avec les jeunes, le programme fait appel à des ambassadeurs, dont la planchiste olympique Alexa Loo.

« Il s'agit d'inciter les jeunes à embrasser une cause qui leur tient à cœur et de passer à l'action, explique Mme Holender. Ils apprennent alors le principe élémentaire que faire le bien leur apporte satisfaction, ce qui les encouragera dans la vie à continuer à faire le bien et à changer les choses autour d'eux. »

La première école, Mitchell Elementary, a choisi un projet de gestes de bonté spontanés dans la collectivité, notamment le nettoyage d'un parc local et la distribution spontanée de bons- cadeaux aux usagers d'un autobus de la ville.

Les bienfaits du programme sont multiples : il aide les élèves à développer leur leadership, à établir des relations positives dans la collectivité et à renforcer leurs liens avec la police, entre autres. Et il est utile à la police : thérapeutique pour les agents, il permet à ceux-ci de mobiliser les jeunes et de prévenir les démêlés futurs avec les autorités.

« Nous espérons ainsi les dissuader de tremper dans le crime et les inciter à poser des gestes constructifs, ajoute le cap. Krygier. Ce faisant, nous pourrons modifier le parcours de cette génération. »

Des programmes comme Difference Maker constituent une solution de rechange à la répression et nécessitent donc un changement d'attitude.

« Accaparés par le quotidien et notre mandat d'application de la loi, nous en oub-lions que la prévention est déterminante », souligne le cap. Krygier.

Le cap. Krygier sait que ce n'est pas la solution parfaite dans tous les cas, mais même dans 60 p. 100 des situations, c'est quand même une amélioration.

« Comparons cela à un vaccin contre la maladie, explique-t-il. Notre programme est un vaccin contre le crime, en quelque sorte. »

En fait, les programmes de prévention et d'intervention se révèlent efficaces un peu partout au pays.

Le modèle du carrefour

En 2011, la police de Prince Albert (Sask.), troisième ville de la province, recensait un taux élevé de criminalité. Pourtant, elle ne pouvait régler le problème à coup d'arrestations.

« C'est coûteux et futile », explique l'agent Matthew Gray, du service de police. « Il importe de distinguer une mauvaise personne d'une autre qui se trouve dans des circonstances fâcheuses. Nous devons nous garder d'associer les jeunes en colère à des délinquants. »

Rétablir le lien entre les jeunes et leur communauté

Depuis plus de 15 ans, le Service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé (SSDCO) de la GRC en Colombie-Britannique fait de la prévention auprès d'élèves de tous âges dans le cadre du Continuum d'éducation des communautés en matière de prévention (CECP).

Plutôt que d'implanter le CECP dans les écoles, le SSDCO le lance dans la communauté dans le cadre d'un nouveau projet pilote de prévention : un salon jeunesse.

Le SSDCO a fait participer à la première édition du salon la communauté d'East Kootneay et les élèves de 8e et de 10e années à Cranbrook (C.-B.).

« Nous voulons rétablir un lien entre les jeunes et leur culture, leur communauté, la loi, la province, le gouvernement, le Cana-da », explique le s.é.-m. Anthony Choy, s.-off. resp. du SSDCO.

La communauté a choisi comme thème du premier salon le « Journal du bonheur ». « Nous essayons de faire comprendre aux jeunes que le bonheur n'est pas destination : il faut être heureux ici et maintenant », ajoute le cap. Alan Nutini, organisateur du salon.

Les élèves s'étaient inscrits à l'avance à deux des six ateliers offerts et ont assisté à un discours et à une séance de récapitulation. Chaque atelier portait sur des questions qui touchent les jeunes d'aujourd'hui, comme le désir d'être branché et les relations avec le sexe opposé.

Sept écoles et environ 1 600 élèves y ont participé, ce qui a permis à la GRC de sensibiliser beaucoup de jeunes en peu de temps. Les vingt organisations communautaires qui tenaient des kiosques et les vendeurs de nourriture ont présenté aux jeunes différentes organisations qui, selon le cap. Nutini, leur accordent de l'importance.

« Nous devions faire participer la communauté afin d'améliorer la prévention. Je ne crois pas qu'il est bon de s'imposer un plan sans vouloir y déroger. Il faut changer et se mettre au défi pour s'améliorer.»

— Deidre Seiden

En quête d'une solution durable, le service a élaboré un modèle de mobilisation communautaire, le carrefour (Hub), pour bâtir des collectivités plus sûres et plus saines et réduire le crime et la victimisation.

Il s'agit d'un processus d'intervention précoce réunissant la police, les services sociaux, les écoles et les organismes de santé publique, entre autres services communautaires; une démarche intégrée qui met les personnes et les familles en liaison avec les services pertinents dans un délai de 24 à 48 heures.

Le modèle étant axé sur les risques et fondé sur des données probantes, certains comportements et événements survenus à l'école peuvent montrer qu'un jeune est sur la voie de ce que nous jugeons être un risque aigu », précise l'agent Gray.

Si le carrefour n'est pas exclusivement axé sur les jeunes, un fort pourcentage des dossiers concernent des jeunes et leur famille. La collaboration de tous ces services permet à tous d'avoir une vue d'ensemble de la situation.

Lorsque la police arrête une personne à répétition et ne sait plus que faire, elle soumet son nom au carrefour. Elle apprendra ainsi que le sujet est toxicomane et a des difficultés au foyer; si elle travaillait en vase clos, elle n'en saurait rien. Aiguiller le jeune vers le service voulu pourrait prévenir d'autres problèmes à long terme.

« Telle est la beauté d'une intervention précoce, constate l'agent Gray. Investir du temps et des efforts dès le début peut nous épargner bien du travail par la suite. Cela revient à dépenser dix cents pour épargner un dollar, ni plus ni moins. »

Grâce à l'appui du programme provincialBuilding Partnerships to Reduce Crime (BPRC)(partenariats pour réduire la criminalité), le modèle du carrefour a été étendu à 12 autres collectivités en Saskatchewan; d'autres versions voient en outre le jour en Ontario et aux États-Unis.

« Bien des collectivités ont pris note du travail réalisé à Prince Albert et ne ménagent pas leur enthousiasme pour l'initiative », souligne Anna Robinson, consultante auprès du programme BPRC. Il s'agit d'une initiative clé qui permet d'intervenir au moment critique et d'aiguiller la personne vers les services appropriés, et éviter ainsi d'en venir à la répression. »

Le serg. Craig Nyirfa et l'agente Jody Culbert, du SP de Saskatoon, font partie du réseau du carrefour dans cette ville, en place depuis plus d'un an.

L'initiative, fondée sur la collaboration avec les gens de la collectivité, porte des fruits.

« C'est une nouvelle façon de faire, précise le serg. Nyirfa. Pour résoudre ces problèmes, il faut comprendre que ceux-ci concernent un large éventail de disciplines. La solution passe non seulement par la répression et l'application de la loi, mais aussi par la prévention et l'intervention. »

Les résultats sont probants.

« Certaines familles n'ont plus affaire aux services parce qu'elles sont en liaison avec les programmes dont elles ont besoin, explique l'agente Culbert. Des enfants qui avaient des démêlés avec la police alors qu'ils séchaient l'école sont désormais de retour en classe. »

Synergie

La démarche multidisciplinaire est elle aussi fructueuse à Selkirk (Man.) grâce à laSelkirk Team for At Risk Youths, dite START (programme visant les ados à risque).

« Les jeunes, qui sont notre avenir, sont aujourd'hui en difficulté », explique la coordonnatrice du programme START, Tammy Thompson. Ils affrontent divers enjeux : la disponibilité des drogues, l'information qui leur est communiquée. Les familles ont des problèmes et ont besoin d'aide. »

Le programme intervient depuis 2002 auprès des jeunes à risque de 11 à 18 ans.

Mme Thompson constate depuis quelques années ce qui se passe quand di-vers organismes comme la GRC, l'école, les services à l'enfance et à la famille et les orga-nismes d'intervention en santé mentale, en toxicomanie et en santé publique se réunissent pour aborder un cas particulier.

Des jeunes jadis aux prises avec des prob-lèmes de toxicomanie et de santé mentale ou qui avaient des démêlés avec la justice peuvent désormais obtenir leur diplôme d'études secondaires et assainir leurs relations avec leur famille. « Chaque organisme dispose d'un élément du problème, mais nous n'obtenons une vue d'ensemble qu'en discutant tous ensemble, précise Mme Thompson. C'est alors seulement que nous pouvons changer la donne. »

Andrea Pietracci, âgée de 24 ans, a été aiguillée vers le programme START à l'adolescence, après avoir été arrêtée pour consommation de drogue. Victime d'intimidation, elle s'était tournée vers la toxicomanie pour gérer la situation. La colère qu'elle éprouvait s'est répercutée sur son rendement à l'école et ses relations au foyer; elle en est venue à user de violence contre sa mère.

Le programme a changé sa vie. « Dès ma prise de contact avec START, et à mesure que je faisais connaissance avec Tammy, je me suis sentie comprise, relate Andrea. Je comptais pour quelqu'un, je n'étais pas qu'un numéro dans un dossier. »

Pour les intervenants du programme START, le comportement n'est jamais le problème, mais le symptôme d'un mal plus profond. « Aucun jeune ne souhaite réellement se trouver à la maison de jeunes ou impliqué dans le crime, souligne Mme Thompson. Chacun désire réussir. Tous les parents que je côtoie, peu importe leurs capacités, aiment sincèrement leur enfant. Il s'agit simplement de déterminer l'intervention pertinente qui permettra de remettre le jeune et sa famille sur la bonne voie. »

Les intervenants continuent d'épauler les gens le temps qu'il faut. Ils font un suivi mensuel auprès du jeune pour voir comment les choses se passent et ce dont il a besoin.

« Notre intervention est à long terme, explique Mme Thompson. Lorsqu'on traite avec un jeune à risque, les problèmes ne se règlent pas du jour au lendemain. »

Andrea Pietracci, aujourd'hui mère de deux enfants, n'ose penser à ce qu'elle serait devenue sans l'intervention de START. « Je prendrais probablement encore de la drogue et mes relations avec ma famille ne seraient pas aussi bonnes, dit-elle. Je suis heureuse de ma vie actuelle, et c'est en grande partie grâce à l'équipe de START. »

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